Histoire :
Je suis né en hiver. Il neigeait. Beaucoup. C’était la nuit. Aux alentours de minuit m’a-t-on dit. Ma mère hurlait. J’ai l’impression de me souvenir de ses cris, mais je ne fais sans doute que les imaginer. L’accouchement se passait mal. Ma mère avait voulu être à la maison, être seule avec mon père, ne pas subir de sort pour atténuer la douleur. Elle voulait me « sentir naître », c’est les mots de mon père. Sûrement ceux de ma mère au départ. J’ai fini par venir au monde, dans le sang et la douleur. Ma mère m’a pris dans ses bras. Je sens sa chaleur comme si j’étais encore contre sa joue. Je sens son souffle, j’entrevois son sourire. Des souvenirs ? Des songes ? Je ne sais pas.
Aucune image ni sensation ne me vient quand je pense à la suite. A ce que m’a décrit mon père. Comme si après ma naissance, le monde avait plongé dans le noir et le froid. Glacial.
Ma mère perdait trop de sang. Mon père ne savait pas quoi faire. Il a transplané, nous laissant seuls quelques instants. Quand il est revenu, le médicomage qui l’accompagnait à essayé de sauver ma mère. Ils m’ont enlevé de ses bras chauds. Je n’y suis jamais retourné. J’ai pleuré ce jour là. Longtemps. Et… Je n’ai plus jamais pleuré ensuite. Même encore aujourd’hui quand je me sens mal, quand je crie et que j’ai l’impression que je vais exploser. Les larmes ne sortent jamais de mon corps, je les garde en moi et je me noie dedans.
Mon père m’a élevé seul. De nourrisson silencieux au regard fuyant, je suis devenu enfant silencieux et discret. J’ai regardé les autres. Je me suis regardé aussi. Je ne suis pas comme eux. Je ne souris pas, ne ris pas, ne fronce pas les sourcils. Enfin… Presque jamais. Et je n’arrive pas à le déclencher volontairement. Si mon père me prend dans ses bras, je souris un peu. Si Ethan joue avec moi, je souris un peu. Si Aileen me caresse la joue en m’offrant une part de tarte, je souris un peu. Mais cela me paraît étrange, comme si on étirait les coins de ma bouche pour me faire grimacer.
Mon enfance a donc été solitaire. Mon père ne m’a plus jamais laissé seul avec d’autres enfants quand il a vu que leurs jeux brutaux, leurs contacts incessants me perturbaient. Il n’y avait que mes cousins, habitués, qui arrivaient à me mettre à l’aise. Et encore… Seul le contact de mon père ne me dérangeait pas. Les autres… Cela me donne des frissons de sentir leur peau contre la mienne. A chaque fois je finis par avoir la nausée. Je ne sais pas pourquoi. Les autres se font des câlins, jouent à se battre. Pas moi. Pourquoi ?
Quand la lettre de Poudlard est arrivée… J’ai demandé à mon père si je devais le quitter. S’il allait m’envoyer loin de lui. J’ai lu la réponse dans ses yeux. Alors j’ai crié. Mes cheveux sont devenus noirs, rouges, blancs, ils ont disparut un instant. Je le sais parce que je me suis vu dans le miroir. Le grand miroir qu’on avait dans le salon. Le grand miroir qui a explosé en milles morceaux ensanglantés. Je vois mon reflet dans ces morceaux. Moi aussi je suis couvert de sang. Est-ce que maman ressemblait à ça quand elle est morte ? Est-ce que je vais mourir ? Mon père m’a pris dans ses bras, je l’ai frappé. De toutes mes forces. Il m’a serré plus fort.
Je ne suis jamais allé à Poudlard. Après ma crise, mon père a décidé de me garder près de lui. Il est chercheur en Arithmancie mon papa. Il est resté avec moi. Tous les jours, tout le temps. Il m’a donné des cours et il a demandé à des professeurs de venir me donner des cours dans les matières qu’il ne maîtrisait pas. C’est surtout à partir de mes treize ans qu’il y a eut plus de monde à la maison pour m’enseigner des choses. Le niveau commençait à devenir plus exigeant pour mon père. J’adore ça. Apprendre. C’est… La seule chose que j’aime vraiment. Avec les pâtisseries bien-sûr, ça laisse un goût agréable sur la langue. Surtout les tartes aux fruits encore chaudes. Apprendre… Cela me remplit l’esprit. Cela m’occupe. Cela nourrit mon cerveau qui retient le moindre détail de mes journées. J’ai toujours des phrases et des images qui tournent dans ma tête en fin de journée. Ca m’aide d’apprendre. Je suis concentré sur quelque chose. Et il me semble que je suis doué. Les sorciers qui viennent ont toujours des expressions ravies et étonnées. Je ne sais pas si les autres adolescents sont comme moi pour ça.
Aujourd’hui papa est mort.
En ce premier avril 1943, mon père est mort. C’est une blague ? Il paraît que les gens font ce genre de choses ce jour-là. Mais pas mon père, il n’a jamais fait ça. Alors il est vraiment mort. Mais je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce que cela veut dire. Il ne me prendra plus dans ses bras alors ? On m’a dit que quelque chose avait cédé dans son cerveau. Un vaisseau sanguin qui se serait tout simplement déchiré. Cela arrive. Même chez les sorciers. On peut arrêter l’hémorragie, mais parfois, tout se passe trop vite. D’accord, mon père n’a pas eut de chance. Encore du sang. Peut-être réfléchissait-il trop ? Peut-être vais-je mourir comme cela aussi ? Je me regarde dans la glace. Je ne vois pas de sang. Je n’y vois pas mon père non plus. Il n’est plus derrière moi. Où est-il ?
On l’a enterré ce matin. Toute la famille était là. Je me suis mis entre Ethan et Aileen, je me sentais protégé. Après tout, ce n’était qu’une réunion de famille. Même mon père était là. Comme d’habitude. Sauf qu’ils ont refermé le cercueil sur le visage inexpressif de mon père. J’ai eu envie de les frapper. D’hurler. Je ne me souviens pas bien. Je crois que je me suis jeté sur le cercueil. Je sens des bras m’entourer, m’attraper, me retenir. Je n’ai pas pleuré. Les larmes sont restées dans mon cœur et dans ma gorge. Elles sont brûlantes ces larmes, elles me font mal. Je ne comprends pas cette douleur. Je ne comprends ni la douleur qui m’étreint, ni l’absence de mon père.
La famille d’Ethan m’a accueilli. J’ai fais plusieurs crises de colère et de peur. Mon environnement était tout chamboulé. Adieu ma maison, adieu mes habitudes, adieu papa. Je dois aller à Poudlard maintenant. Je ne peux pas rester toute la journée chez eux. Je me sens mal tout le temps. Je ne veux pas partir. Je serai avec Ethan mais… Que vais-je faire au milieu des élèves dans ce château ? On m’a dit que les cours seraient passionnants. Qu’il y a une grande bibliothèque. Alors j’y vais. Parce que de toute façon, mon monde n’est plus. Mon monde est dans un cercueil, enfoui dans la terre brune et humide.
Je rejoins Poudlard en fin de 5ème année. Ils étaient sceptiques au début. Mais mon père m’avait déjà inscrit aux examens de BUSE. J’étais censé les passer en même temps que les autres élèves, même si nous ne suivions pas les cours ensembles. Les professeurs de Poudlard m’ont donc fait passer des tests, pour savoir si j’avais le niveau pour entrer dans la classe correspondant à mon âge. J’ai réussi, m’ont-ils dit. Ils semblaient fiers et heureux de m’accueillir. Comme si j’avais gagné le gros lot, comme on dit. Comme si je devais me réjouir. On m’a posé un chapeau sur la tête. Un chapeau qui m’a parlé. Le pauvre, à qui parle-t-il quand il n’est pas sur une tête ? Je lui ai demandé. Il m’a ignoré. Il m’a juste soufflé : Serdaigle. Les adultes avaient l’air satisfaits.
Je suis donc à Poudlard. Avec d’autres sorciers de mon âge. Mais d’autres comme moi je ne pense pas. Au moins, Ethan est là. C’est la seule image familière dans tout ce brouhaha. Je suis perdu. Il y a plein de plats différents sur les tables, j’essaie de trouver mes repas habituels au milieu de tout ça. Mon emploi du temps n’est plus le même. Cela me perturbe. Mais au moins, tout est prévu, organisé, et ça, j’apprécie. Enfin… Cela fait partie des rares choses qui m’aident. Dormir dans un dortoir, c’est étonnant. Les autres ne me parlent pas trop, je crois qu’ils m’évitent. De toute façon, je ne saurais pas quoi leur dire.
Je me lève, je mange, je vais en cours, je me balade dans le parc. Le soir je me regarde dans un morceau de miroir que j’ai gardé. Mon visage est celui d’un étranger. Comme toujours. Cela ne change pas. Cette constance me rassure. Je regarde une vieille photo de mes parents après. Elle date d’avant ma naissance. Ils avaient l’air heureux. Du moins, ils sourient dessus. Eux non plus ne changent pas. Ils ne changeront plus jamais. Cela me rassure. Je ne peux plus les perdre.