[Juin 43]Rendez-vous en forêt de Dean dans l'antre de Lamby

C’était le premier samedi du mois. J’avais prévenue Lamby de ma visite quelques jours auparavant, mue par l’envie de la voir et par le besoin pressant de requérir son aide. La brûlure que je m’étais moi-même infligée avait commencé à s’étendre. La tâche écarlate qui au départ ne couvrait que le haut de ma pommette, envahissait petit à petit ma joue et se rapprochait dangereusement de mon œil. Je l’appelais brûlure uniquement parce qu’elle me faisait mal comme une brûlure. Constamment. Mais il s’agissait plus d’une marque rouge vif, aussi lisse que le reste de ma peau.

Aujourd’hui, je l’avais laissée visible. Néanmoins mes cheveux noirs, allongés par un sortilège, recouvraient le plus gros de la partie gauche de mon visage. Je transplanai directement dans la forêt de Dean, non loin du refuge de mon amie. Je pris le temps d’écarter mes cheveux avant de la rejoindre.  Jamais je n’aurais pu me présenter devant elle en cachant une marque aussi petite et négligeable, comme si j’en avais honte. D’ailleurs, si je la camouflais à Poudlard c’était uniquement pour éviter certaines questions gênantes. Ici, je n’aurais pas ce problème.

Je m’approchais d’un pas lent de la maison de pierre, trônant dans la magnifique clairière baignée par les rayons traversant la voûte végétale. Je marchais dans une de ces grandes flaques de lumière dorée, accompagnée des insectes d’or qui voletaient là. Je m’arrêtai à un mètre de la chaumière. Je n’avais pas expliqué à Lamby que je ne venais pas uniquement pour le plaisir de la voir. J’avais peur maintenant. Peur de raviver d’anciennes douleurs. Et sans doute aussi de me faire dire que j’aurais du venir plus tôt et soigner cette chose immédiatement, mais en cela, elle aurait raison.

« Alambitia ? »

Quand j’appelais Lamby par son prénom complet, cela cachait souvent quelque chose. J’étais certaine qu’elle ne s’y tromperait pas. Une douleur cuisante traversa à nouveau mon visage. Je m’efforçai de sourire malgré tout.

Le visage de Lamby était indéchiffrable quand elle sortit. Je ne pipai mot, trop heureuse d’échapper à des reproches pourtant mérités. Pourtant le soupir de mon amie ne m’éclairait que trop sur son avis au sujet de ma mauvaise habitude qui consistait à m’enfoncer dans le déni face à la douleur. Face à toute forme de douleur. J’eus moi-même un petit rire en l’entendant mentionner ces orgies masquées que certains sorciers lui attribuaient. Certains s’appliquaient à chercher chez les autres ce qui se trouvait au fond d’eux sans qu’ils puissent l’admettre. Et d’autres ne pouvait s’empêcher de s’offusquer de tout, n’ayant aucune autre occupation. Je connaissais cela. Je connaissais également le plaisir de Lamby de voir l’imagination des autres s’enflammer devant son visage paré d’onguent ou pour un corset plus osé que de coutume.

Je la laissai m’ausculter en silence. Chaque frôlement de ses doigts s’accompagnait de petites brûlures, mais je n’en laissai rien paraître. Il n’était pas nécessaire qu’elle prenne conscience du fait que ses gestes, pourtant si mesurés, me déclenchaient des douleurs dignes d’un sortilège Cuisant. Je lui faisais entièrement confiance et pas une fois je ne reculai mon visage. Je la fixai tout ce temps, m’amusant de son expression concentrée.

Quand le constat de Lamby tomba, je restai stupéfaite. Cela n’avait aucun sens ! J’attrapai un des gâteaux qu’elle avait entreprit de retirer. Il était très appétissant, et je regrettai déjà d’avoir présenté ma blessure à mon amie. Je n’avais aucune envie d’être privé d’une telle friandise pour si peu. Néanmoins je n’osai pas porter le morceau à ma bouche, par crainte des sévères représailles de mon amie et guérisseuse. Je préférai d’abord lui exposer plus en détail ce qui c’était produit.

« Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un empoisonnement. Déjà, qui voudrait faire une telle chose ? Et s’il s’agit d’une erreur, je pense que je m’en serais aperçue depuis le temps ou même que j’aurais cessé d’être exposée. »

Je lui fis un sourire réconfortant. Il fallait maintenant que je lui explique dans quelles circonstances j’avais gagné cette plaie. Plaie, dans tous les sens du terme.

« En vérité, cette… chose est due à un petit cafouillage de ma part, disons cela ainsi. Lors d’un duel j’ai été soumise au sortilège de Confusion et… dans ma confusion, j’agrémentais mon explication d’un clin d’œil. Dans ma confusion, j’ai lancé différents sortilèges, et l’un d'entre eux m’a touché au visage. Or j’avais fait quelques erreurs dans la formulation ainsi que dans l’intention que j’ai mise dans ce sort. Pour tout te dire je ne sais pas vraiment ce que j’ai pu produire comme maléfice, et comme ma baguette est toujours prompte à produire des enchantements puissants… »

Je laissai ma phrase en suspens. Ma baguette de tremble, ma fidèle baguette qui m’était toujours très utile en duel, n’était pas tout à fait de celle que j’aimais à affronter. De plus, mes mauvaises manies d'emploi de sorts expérimentaux avaient déteint sur ma baguette. Je ne savais vraiment pas ce qu’elle m’avait concocté.

«  Puis-je manger une de tes préparations qui me donnent l’eau à la bouche maintenant que tu sais tout ? »

J’haussai un sourcil en attendant sa réponse.

J’avais laissé passer les réprimandes de Lamby sans mot dire. Elles étaient fondées, je n’avais donc rien à répondre à cela. J’aurais pu dire que j'étais désolée, mais j’étais sure que mon amie le savait parfaitement comme l’attestait le regard d’excuse que je lui lançais. Exprimer à voix haute mes regrets aurait été inutile et cela aurait rappelé à Lamby que malgré mes excuses rien ne changerait d’ici la prochaine fois. Cette habitude de me cacher comme un animal blessé quand je souffrais n’était pas prête de disparaître. Je n’arrivai pas à me résigner à accepter la douleur. Je me morigénai en me faisant la remarque pour moi-même que c’était surement la cause de mon deuil si long.

Le rire de Lamby nous libéra toutes les deux. Je me sentis alors parfaitement détendue et je dévorai avec joie quelques uns des succulents gâteaux qu’elle avait préparés. J’avais tout à fait confiance en mon amie, je savais qu’elle trouverait une solution.

«  C'est ridicule. Je m'inquiète pour rien si mes pâtisseries passent encore avant tes maux et mes soins. Mange tout va, tu as réussi à me faire perdre mon inquiétude et à me détendre un peu. Je vais potasser sur ton cas. »

Je m’amusais de la voir toute à son analyse. J’avais rencontré peu de sorciers pouvant rivaliser avec Alambitia en matière d’intelligence et de désenchantement. Je me concentrai sur les questions qu’elle me posait et m’appliquai à y répondre avec exactitude après l’avoir félicitée pour ses talents culinaires.

« Quelques nausées, c’est vrai. Mais il s’agit surement d’une réaction à l’onguent pour les brûlures que je me suis administrée jusque là, entre autres choses. Non, le plus gênant c’est la douleur pulsatile que je subis constamment au niveau de la zone touchée. Comme si je me brûlai encore et encore… J’ai également des migraines interminables, ces temps-ci, mais je ne pense pas que ce soit lié à cela. Je ressasse beaucoup de choses en ce moment, et je me disais que peut-être… »

Je ne continuai pas. Mes problèmes avec l’épouvantard le mois précédent, la relation entre Isobel et Skolan qui me rappelait ce que j’avais perdu et ce que j’aurais pu vivre, la lettre tout récente d’Anya qui avait elle-même évoquées mon « idylle » passée ainsi que ma grossesse… Tout cela me plongeait dans une mélancolie morne et néfaste. Je passai de longues heures à raviver le passé, allongée sur mon lit. A la suite de ces séances je me sentais plus triste et seule que jamais et les ronronnements de Méphisto étaient impuissants face à ma morosité.

« A part ça, il me semble être plus fatiguée que de coutume maintenant que j'y pense. Et j’ai eu recours à plusieurs reprises à des potions de soins pour chasser un rhume ou une fièvre persistante. Pourtant, je ne suis que très rarement malade à cette période de l’année habituellement. »

Je regardai mon amie avec inquiétude. Je n’avais pas envisagé un seul instant que ces désagréments puissent être tous liés entre eux… Et dans ce cas, cela ne présageait rien de bon. Ma capacité à nier les faits et à me mentir me laissait pantoise.