[1944 - Mars - Le 24] Rencontre à l'aveugle

Les vacances de Noël n’étaient plus qu’un lointain (et douloureux) souvenir à l’esprit de Charlie, qui, à présent bien remis de sa maladie, avait retrouvé l’horaire chargé d’un préfet et élève de Poudlard. Entre les travaux pratiques, les parchemins à rédiger, les sessions d’entraînement de Quidditch (auxquelles Charlie assistait de nouveau, pour encourager sa maison, après les avoir évitées pendant deux ans), les séances d’études à la bibliothèque ou en grande salle, l’aide aux devoirs en salle commune, les rondes de surveillance et, bien sûr, le temps passé à consoler, écouter, sermonner, conseiller les élèves de Poufsouffle et des autres maisons, au besoin, Charlie avait très peu de temps pour lui-même, bien qu’il trouvât toujours le temps pour ses amis. Rien de bien nouveau pour le jeune homme dévoué et sympathique, parfois victime de son succès.

En revanche, il devait à présent ajouter à son agenda extrêmement chargé d’éviter les groupes de filles et certaines filles en particulier. Charlie ignorait totalement par quel étrange phénomène, son absence en janvier et son retour à l’école, avec la peau sur les os, avaient fait de lui un garçon populaire auprès de la gente féminine. Il avait certes déjà eu à éconduire gentiment une Serdaigle ou deux lors de l’année précédente, mais depuis, ça avait été à peu près calme et sous contrôle. À présent, Charlie devait s’esquiver par des passages discrets pour éviter de se faire coincer par des filles dont il ne savait pas du tout qu’elles pouvaient un jour s’intéresser à lui. C’était un jeu épuisant et frustrant. Non pas que Charlie ne se sentait pas flatté par toute cette attention, mais il ignorait quoi en faire. Aucune ne l’intéressait franchement en retour, pour tout dire. La seule qui faisait accélérer ses battements de cœur ne lui accordait même pas un regard. Puis bon, il avait amplement d’autres chats à fouetter après tout.

À commencer par cette histoire qui le travaillait depuis trois mois déjà. Alors que ses parents le pensaient assommé par les médicaments, Charlie les avait entendu discuter. Ou plutôt, il avait entendu sa mère, qui ne quittait pas son chevet les premiers jours, déchirer une lettre tout juste reçue par hibou. Il l’avait entendu déclarer à son père que, elle vivante, jamais ce dégénéré d’Ysengrim ne verrait son neveu, ce qui avait fort étonné Charlie, qui ne se connaissait aucun oncle appelé Ysengrim. Puis, Charlie avait cédé à la fièvre et s’était rendormi. Dans les jours suivants, il n’avait rien appris de plus, ni dans les semaines suivantes, d’ailleurs. Son retour à Poudlard lui avait donné un peu plus de liberté pour faire des recherches, mais impossible de trouver la moindre information sur un certain Ysengrim Simpson, le nom de jeune fille de sa mère.

Sans se décourager, et parce qu'un oncle à l'existence tenue secrète avait de quoi exciter la curiosité de Charlie, pour qui la famille n'avait jamais été qu'ordre et discipline. Que pouvait bien cacher sa mère? Y avait-il une histoire qui viendrait tacher le portrait si parfait d'un grand-père mort en héros? Charlie n'avait pas lâché l'affaire. Chaque fois qu'il en avait l'occasion, il envoyait une requête aux Archives du Ministère, usant pour ce faire d'une autorisation signée par la bibliothécaire de Poudlard pour une ancienne recherche en histoire de la magie. Charlie en éprouvait quelques pincements de culpabilité, bien sûr, mais la curiosité était la plus forte.

Il lui avait fallu près de trois semaines pour trouver un filon, dans la rubrique « naissances » de la Gazette du sorcier en date du 16 novembre 1898. On y annonçait la naissance d'Ysengrim, fils aîné d'Isidor et Ember Simpson. Jamais la mère de Charlie n'avait eu un mot sur un grand-frère! Mais la quête de Charlie ne s'arrêtait pas là, même si le préfet passa bien prêt d'abandonner quand, après deux semaines, il n'avait toujours pas trouvé trace d'Ysengrim Simpson. S'il avait bien fait son entrée à Poudlard en 1909, le garçon semblait s'être volatilisé sans laisser de trace après sa troisième année. Rien dans les annales de l'école ne rappelait son passage. Une piste qui se terminait dans un cul de sac!

Puis, alors même que Charlie n'y croyait plus, était arrivé un hibou étranger, qui avait déposé une lettre directement dans son assiette au petit-déjeuner. Une lettre qui le saluait par son nom, l'appelait "mon neveu", l'invitait à une rencontre, sans autres informations, par timidité ou par prudence? Victor n'avait rien reçu, il avait discrètement vérifié, pas plus qu'Adrian ou Megan. Seulement lui, donc. Pourquoi? Et qui était cet oncle surgit d'un passé que sa famille avait voulu enterré?

Charlie espérait une réponse, tandis qu'il franchissait le seuil de la porte du Magellan. Un bon choix, le Magellan un vendredi soir, veille de match. Il n'y aurait aucun élève à traîner dans le coin. Charlie s'était arrangé avec son directeur de maison pour obtenir une permission de sortie spéciale.

À présent il se tenait là, dans le cadre de porte, balayant la salle du regard, cherchant à deviner lequel des clients pouvait être son oncle. Mamie Winifred était en cuisine, Charlie s'en sentit presque soulagée. Il n'avait pas la tête à faire la conversation avec la charmante patronne. Aucun client ne semblait correspondre à l'image que Charlie s'était fait d'Ysengrim Simpson ou plutôt Rhys, comme l'énigmatique inconnu avait signé sa lettre. Il hésita un instant, puis alla s'installer à une table, pas trop loin de la porte. Un garçon de salle vint aussitôt lui demander ce qu'il désirait boire. Charlie demanda une bièraubeurre, autant garder les idées claires.