[15 mars 44] Le secret d'une main tendue (ft. Ben Fawley)

La communauté sorcière n'avait jamais brillé pour son ouverture d'esprit à l'égard de tout ce qui n'est pas humain et capable de magie. Cynthia aurait eu de la peine à la critiquer sur son manque général d'affection à l'égard des moldus, dont l'étroitesse d'esprit avait poussé à créer le Code International du Secret Magique. Vis-à-vis des Loups-garous, son travail avait tôt fait de la pousser à considérer la situation sous un autre angle. La misère d'une communauté écartée pour ce qu'elle faisait une nuit par mois pouvait attendrir tous les cœurs, ou au minimum le sien, et c'est ce qui valait sa présence au sein de la vieille bâtisse délabrée un peu à l'écart du centre londonien.

Le petit groupe de cinq se tenait tassé dans la pièce principale, froide malgré le feu de cheminée allumé par les soins de la chasseuse une demi-heure plus tôt. Ce temps passé parmi eux, elle le comptait dans ses heures de travail pour quiconque lui posait la question, sans jamais expliciter ce qu'elle faisait là-bas ou avec qui. Même avec son mari (Merlin ce que cette pensée la perturbait toujours !), il ne lui venait pas à l'esprit de lui en parler. Gillean n'aurait de toute manière pas compris, partageant lui-même l'idée générale que les loups-garous étaient dangereux par nature, en tous temps, en tous lieux, sans exception aucune.

Son rythme se trouva finalement cassé par la silhouette qu'elle aperçut du coin de l’œil à la fenêtre, une ombre qui disparut quand elle tourna la tête et n'attira guère que son attention à elle. Silencieusement, Cynthia quitta le groupe pour rejoindre la porte d'entrée, l'ouvrit sans un bruit et se trouva finalement nez-à-nez avec un jeune homme aux mains occupés par un appareil photo. Journaliste, suppléa son esprit immédiatement. Eût-elle été moins bien éduquée, la Sang-Pur aurait juré.

"Je peux vous aider ?"

Des semaines que Ben était sur le coup. Bon, peut-être pas des semaines, mais des jours en tout cas. A planquer, dans le froid et le vent. Qu’on se le dise, les petits crachins londoniens ne lui avaient pas manqué ! Mais cette fois-ci, après des mois à poursuivre des chimères au quatre coins de la ville, il était persuadé de tenir le bon coup. Son contact avait raison : définitivement, la vieille maison était très louche. Des vas et viens discrets, à des heures indues, des habitants au regard traqué qui passaient leur temps à jeter des coups d’œil par-dessus leur épaule dès le seuil franchi… A tous les coups, il avait enfin réussi à mettre la main sur le gang des faussaires de patacitrouille. Depuis le temps qu’ils revendaient leurs bonbons frauduleux ceux-là !  Il était bien temps qu’un intrépide journaliste se décide à mener l’enquête.

Le nez collé au carreau d’une fenêtre crasseuse, Ben se morigéna. S’il avait abandonné sa planque, c’était que la nouvelle venue et ses airs de meneuse lui avaient confirmé un pressentiment qui ne quittait pas depuis ce matin : un chef allait bien finir par montrer le bout de son nez, tôt ou tard. Et la voilà qui tombait du ciel ! Il ne pouvait pas rater ça, mais ce n’était pas avec un aussi mauvais point de vue qu’il écrirait un bon papier. Abandonnant son poste d’observation raté, le jeune homme se glissa jusque sur le seuil de la porte pour y coller l’oreille. Son appareil photo était prêt : au moindre son suspect, il était prêt à ouvrir en grand le battant et dégainer pour prendre les malfaiteurs en flagrant délit de contrefaçon de friandise.

De bruit étrange il n'y eut point, excepté celui des gonds grippés. Sentant son appui se faire la malle, Ben se redressa d'un bond pour se retrouver nez à nez avec la nouvelle venue. Oups.

« Heu… Oui ! Bonjour ! Vous êtes la propriétaire ? »

Sourire niais en bandoulière, il leva son appareil comme si ce dernier pouvait justifier sa présence, débitant d'une traite la première idée qui lui était passée par la tête.

« Vraiment, cette maison est charmante... Vous songez à vendre ?  »

Journaliste, définitivement, et dénué de tout talent pour le mensonge. Cynthia haussa un sourcil élégamment, les yeux passant de l'expression niaise à l'appareil photo avant de revenir sur le visage du jeune homme. Ça promettait d'être délicat à dépêtrer sans mettre en péril le refuge offert par la maison aux loups-garous qui n'avaient plus de toit et ce fut pour ses protégés, surtout, qu'elle s'enjoignit à faire preuve de patience.

"Et si vous me disiez plutôt ce que vous faites vraiment ici ?" s'enquit-elle donc en fermant la porte dans son dos.

Sans se départir de son sourire niais, Ben contemplait le visage de son interlocutrice. OK, plan A avorté. Quel était le plan B déjà ? Et la porte du saint Graal qui se fermait derrière elle, damnation !

« Ok, ok, vous m’avez eu… Je… fais une enquête. De voisinage. Sur les maisons. Et leur… cheminée ? Vous avez des problèmes avec le réseau de poudre de cheminette ? Vous savez que la moitié de vos voisins ont eu des problèmes avec les leurs ? Un véritable scandale. »