Histoire :
Été 1942.
Quelque part en Norvège.La porte grinça longuement en s’ouvrant. Une odeur de renfermé envahit les narines de deux arrivants. Leurs pas provoquaient des vagues de poussières sur le sol, agitant les araignées bien installées. Les meubles en bois avaient perdu leur couleur sous la grisaille environnante. Le nez retroussé de dégoût, le jeune August suivait son père de près, craignant toujours qu’une créature ne se soit installée en leur absence. Il avait entendu tant d’histoires de ses amis norvégiens sur les êtres de la forêt locale qu’il en était devenu inquiet. Peureux certes mais pas au point d’attendre dehors. Il faisait face et surveillait tout autour de lui, à l’affut du moindre mouvement. Cette année encore pourtant, seules des souris – et quelques rats peut-être – avaient envahi les lieux. Le duo s’arrêta au milieu du salon et d’un geste de baguette, le plus vieux entreprit de remettre la décoration en état. Les volets s’ouvrirent brusquement. Les fenêtres plus délicatement. La fine brise estivale les caressa. Les moutons de poussière s’échappèrent par l’ouverture, sautant un par un. Les couleurs des rideaux et canapés se ravivèrent tandis que le sol se remit à briller d’un éclat propre. Ce n’était pas parfait. Sa mère prenait le temps de faire sortir les araignées aussi – par dégout de ces dernières. Cependant, elle n’était pas là. Une histoire de travail qui avait retardé de son départ. Tant qu’elle revenait pour le 13 août, les hommes de la famille s’en inquiétaient peu. L’anniversaire d’August était un grand évènement. D’autant plus que cette année : il atteindrait ses dix-huit ans.
La longue journée fut en grande partie dévouée au nettoyage et au rangement. Les deux devaient faire le tour de l’habitation pour s’assurer d’éventuels – très probables – dégâts occasionnés en leur absence. Les hivers rudes de la région avaient tendance à laisser des traces. Et d’autant plus dans le jardin redevenu sauvage. Le père et le fils se regardèrent face à cette étendue de nature et d’un accord silencieux décidèrent de reporter cela au lendemain. Ils avaient mieux à faire. Notamment discuter de l’avenir du plus jeune.
Dans la nuit – brève en cette période – des bruits sourds réveillèrent le rouquin. Se demandant si un animal égaré n’était pas entré dans la maison, il descendit à petits pas, baguette en main. Sa chambre se trouvait à l’étage tandis que celle des parents donnait sur le salon. Grimaçant lorsque les marches semblaient grincer sous son poids, August finit par arriver en bas. Pieds nus, il avança dans le salon lentement, observant autour de lui. Rien ne semblait avoir changé….
Ou presque.
Son regard se posa sur le portrait de famille. Un grand tableau peint par un ami de sa mère trônait au-dessus de la cheminée. Les trois Eastwood s’y tenaient, un sourire aux lèvres. L’œuvre datait de quelques années déjà. Ils l’avaient réalisée lorsque l’enfant avait douze ans. A l’époque, il possédait encore des joues rebondies et un air enfantin. Peut-être une touche d’agacement typique d’adolescent aussi.
Seulement cette fois-ci, la peinture présentait de larges entailles. Les morceaux de toile pendaient en lambeaux. Le visage de son père ne distinguait même plus tandis que celui de sa mère n’était que coupé en deux, pile entre les yeux, au milieu de son sourire. Des marques de griffures et de crocs avaient déchiquetés le portrait. Un frisson d’effroi traversa le dos du jeune homme. Il réalisait seulement le souffle qui caressait sa nuque dans une langueur terrifiante. Un grondement acheva d’assécher sa bouche et couvert de sueurs froides, August se tourna. Lentement. Jusqu’à le voir. Lui. Le monstre. L’instant fut bref. La bête avançait déjà d’un pas vers lui et la gorge nouée par la peur, le roux se protégea de ses bras. Sa baguette ? Oubliée. Il la tenait fermement dans sa main sans y penser. Les crocs sauvages s’enfoncèrent dans la chair de son bras. Des crocs et du sang. Il ne voyait plus que ça. Ses cordes vocales se débloquèrent enfin et un cri de douleur et d’horreur lui échappa avec force. La créature se contenta de cette menue victoire et s’échappa par la fenêtre sans demander son reste, filant sous l’éclat blafard de la Lune.
Les jambes de l’adolescent cédèrent sous son poids. Son hurlement avait réveillé les voisins, de vieux amis sorciers, qui se ruèrent dans la maison. Sans comprendre ce qu’il se déroulait, August se retrouva enroulé dans une couverture et assis sur son canapé. Ses mains tremblaient sans que l’étau sur sa baguette ne se soit défait. Des murmures autour de lui encombraient son esprit toujours ancré sur le tableau. L’image s’imprégnait en lui à jamais. Les adultes cherchaient à ce qu’il n’entende pas leurs propos. Les regards inquiets, horrifiés et attristés se posaient sur lui sans qu’il n’y fasse attention. Perdu dans sa bulle, encaissant ce qu’il venait de se dérouler, le mordu n’avait pourtant pas entendu la pire des nouvelles.
Un an plus tard.
Cimetière à Londres, Angleterre. Une tombe s’orna d’un bouquet de fleurs blanches, en changé de l’ancien flétri. Du bout des doigts, le jeune homme effleura l’inscription. Son nom en lettres majuscules. Ou plutôt, celui qu’il partageait avec son père. Le loup garou n’avait pas fait qu’une seule victime. August s’en sortait d’ailleurs mieux que son paternel. Marqué à vie et maudit certes, mais vivant. Depuis les funérailles, sa mère s’était montrée distante. Il ne la voyait presque plus. Elle travaillait dur et aux yeux du fils, cachait quelque chose. Ou fuyait. Refusait-elle de faire son deuil ? L’enfant l’avait fait. Pourquoi pas elle ? Qu’est-ce qui la retenait tant ?
Un soupir glissa sur ses lèvres et les questions furent chassées de son esprit. La maison en Norvège avait été vendu. Le tableau brûlé. Les beaux souvenirs ternis par cet évènement macabre. Les premiers mois avaient été les plus difficiles. Perdu dans un mélange de tristesse, de haine et d’impuissance. August s’en voulait. Il voyait encore sa main tremblante serrer la baguette avec force sans l’utiliser. Sa décision avait été de ne plus se montrer si faible, si incapable. Une fois encore, il s’excusa auprès de son père. Il demandait le pardon. Le pardon d’avoir laissé partir son meurtrier. Le pardon d’avoir entendu les bruits si tard. Le pardon d’avoir choisi une autre voie que celle qu’il lui indiquait. Puis s’en suivait les promesses. Promesses de puissance et de connaissance. Au fond de lui, le mordu espérait trouver la solution pour se débarrasser de cette malédiction. Il espérait aussi être capable de protéger les autres sans faillir ni trembler. Des murmures autant pour le défunt que lui-même.