Histoire :
«Papa…»L’enfant avait murmuré dans l’obscurité de la maisonnée. Sa voix, encore brisée par les larmes et la fatigue, trahissait sa stupeur figée de courroux. Mais l’homme s’avançait dans la pièce, le dos brisé par son cœur déchu, et se posait contre un des fauteuils du boudoir. Il tenait contre sa poitrine secouée de spasmes un paquet précieux, duquel l’enfant ne pouvait percevoir que quelques gazouillements qui eurent tôt fait de lui indiquer la nature de celui-ci. Et quelque part en lui, une colère grondait alors qu’il assemblait les pièces du puzzle, ses pas furtifs osant s’aventurer dans le petit salon plongé dans l’obscurité, ce lui habituellement interdit aux trois enfants de la maisonnée, de jeunes garçons turbulents et chaotiques, mais courageux et généreux. L’aîné se tenait là, à quelques pas de son père, à réaliser l’impossible, son jeune regard brûlant de haine alors que d’entre les rideaux de la fenêtre, un rayon de lune recouvrait le visage de son géniteur. Alors il la vit. La honte. Ses petits yeux noirs se plissaient alors qu’il repoussait le bras de son père pour se pencher vers le bébé drapé qui reposait dans ses bras. Sa souffrance explosait en lui, la colère avec elle l’entraînèrent aussitôt dans une chute. Le père le savait, n’osait croire l’ébène de ses prunelles. Les siennes reposaient dans le vide, rougies, exténuées. Il soupira avant de prononcer :
«Alastair…»
«Non. Comment as-tu… comment as-tu osé?»L’enfant le toisait du haut de ses dix années et son père en frémit alors qu’il rencontra l’abysse de son regard.
«Je… Ce n’est pas… I-il s’appelle Wilson. W-Wilson Callaham. Ton frère.»
«Cet enfant n’est PAS mon frère!»Le garçon avait hurlé. Par miracle, le poupon ne s’éveilla pas, par réflexe le père le protégea de la fureur de son aîné. Mais déjà Alastair se décomposait en larmes de désespoir, tombait aux pieds de son géniteur en sanglots profonds qui déchiraient le cœur de son père. Isaac posa sa main valide contre son épaule et le tira doucement jusqu’à ses bras. Les remords l’étreignaient. Il posa un baiser contre la chevelure sombre de son fils aîné.
«Je l’aimais, je te promets. Wilson n’a rien à voir, je t’en prie, aime-le comme tu aimes tes frères.»Ce jour-là, Alastair ne promit pas. Ce jour-là quelque chose se cristallisa en lui, une rancœur profonde que rien ne saurait jamais apaiser. Son père avait failli, l’avait trahi. Et trompé la femme qui venait de les quitter, fauchée par la maladie. Le sommeil le faucha lorsque son petit corps épuisa ses dernières ressources.
***
La famille Callaham s’étendait parmi le monde des sorciers en une trentaine de membres éparses divisés en plusieurs modes de pensées plus ou moins cohérents. Isaac en était un des représentants les plus renommés, auror aguerri aux nombreux prodiges. Il s’était marié tôt et avait plusieurs enfants avec sa dulcinée, Penny, trois pour être exacts. Alastair, âgé de dix ans, Cameron, huit ans ainsi que Morgan, cinq ans. Peu de temps après leur mariage, il devint rapidement évident que la santé de la jeune femme lui causerait des soucis, et c’est en avril 1912 qu’elle perdit la vie, fauchée par sa faiblesse. La nouvelle dévasta particulièrement l’aîné qui entretenait avec elle une relation fusionnelle. L’enfant du milieu en fut tout autant dévasté mais une résilience naturelle chez lui et une tendance vers l’optimisme le poussa à se redresser et se reprendre en main. Quant au dernier, il était probablement trop jeune pour réaliser ce qui s’était produit. Isaac était un père attentionné et droit, et un mari dévoué à sa femme. La nouvelle de son adultère avec une mystérieuse femme dont on ne su jamais l’origine se répandit rapidement lorsque l’auror ramena chez lui un enfant dont Penny n’était pas la mère. Et causa de grands dommages à la réputation de l’homme. Il fut difficile pour lui d’accepter les reproches, les regards et toutes ses relations coupées avec de respectables familles, mais ne lui importait plus que le bien-être de ses quatre fils et la réparation de sa famille brisée par son action peu louable.
Tôt dans sa vie, le plus jeune des quatre frères apprit ce qu’il faisait d’être pris de haut. Partout où il passait en compagnie de son géniteur, on lui jetait des regards obliques teintés de jugement. Si Isaac ne commentait jamais ces imprudentes impolitesses, il défendait son cadet avec énormément de vergogne sitôt on osait questionner ses origines. À ses yeux, Wilson faisait autant partie de sa famille que tous les autres, une opinion malheureusement partagée parmi ses aînés. Si Cameron et Morgan adoptaient l’enfant parfaitement, Alastair conservait ses distances, se coupant progressivement du reste de sa famille. Son deuil, à la fois d’une mère qu’il avait tant aimé, et d’un père qu’il percevait jusqu’alors tel un héros, le suivrait longtemps. Néanmoins même lui n’aurait su se préserver du charme de ce jeune enfant qui passait ses journées à le poursuivre, à rire et gazouiller malgré ses airs sévères et ses pincées mesquines. Wilson, lui, l’aimait déjà profondément, et avait compris malgré son jeune âge qu’il ne lui faudrait véritablement qu’un modèle à sa vie. Les années s’écoulèrent et progressivement, le cœur de l’aîné se réchauffa à son contact. Oh, il conserverait toujours une pointe d’amertume en repensant aux erreurs de son père, mais jetait désormais sa hargne sur le principal intéressé. Le benjamin, lui, ne subissait que les dommages collatéraux de leurs rapports froids et de plus en plus désintéressés à mesure qu’Alastair s’enfonçait dans l’effervescence de l’adolescence.
Tour à tour, les trois aînés quittèrent pour Poudlard, suivant les pas de leur père parmi la maison Gryffondor. Wilson ne supportait pas l’injustice, et attendait avec impatience le moment où il ferait ses premiers pas parmi la grande école. Ce furent de longues années de solitude, passées auprès d’une nourrice d’origine africaine qui lui racontait de vieilles histoires enchanteresses de son pays. Le garçonnet se nourrissait de ses récits. Une profonde amitié liait la dame d’un certain âge au petit. Elle qui ne possédait que de bien modestes pouvoirs magiques l’introduisit au monde moldu et lui en fit découvrir les beautés souvent méprisées par leurs homologues sorciers. Souvent, il se posait sur ses genoux, effleurant ses tresses striées d’argent et lui exigeait une histoire. Ces aventures d’un autre monde peuplaient son quotidien, mais rien n’égalait les visites de ses frères qu’il attendait impatiemment tout au long de l’année. S’il était proche de Morgan, de cinq ans son aîné, Wilson entretenait avec son frère Cameron une relation toute particulièrement. Il était le meilleur ami dont il pouvait rêver. Malgré toutes les années d’âge qui les séparaient, les deux garçons s’entendaient à merveille et s’écrivaient régulièrement pour combler le temps passé loin l’un de l’autre, une amitié qui perdurerait toute leur vie. Quelle ne fut pas la déception de notre jeune héros alors qu’il entrait à Poudlard alors que Cameron en graduait! Heureusement il ne fut pas seul, Morgan prit la relève pour l’introduire à cet institut de prestige, mais aussi le protéger des moins bien intentionnés. Comme ses trois aînés, Wilson rejoignit la maison de Gryffondor.
Débutèrent pour Wilson des années qui le laissent encore mitigés. Il ne réussit jamais véritablement à s’intégrer. On le trouvait maladroit, un peu étrange mais surtout incapable de fournir des habiletés sociales «normales». Ici, au moins, il bénéficiait à peu près de l’anonymat, peu de gens connaissaient ses véritables origines de bâtard. Néanmoins, ce ne fut pas suffisant pour éviter le mépris de ses camarades. Il représentait une victime facile, surtout une fois que son aîné eut quitté à son tour pour s’engager au ministère. Devant la cruauté de ses proches, le jeune Gryffondor laissait entrevoir ses véritables couleurs. Mais la majorité du temps, stigmatisé, il acceptait sa défaite et se contentait de sa vie plutôt solitaire. Il n’avait que peu d’amis ayant su reconnaître chez lui sa bonté naturelle. Il n’était pas bon élève non plus, même s’il y mettait bien plus d’efforts que la moyenne. On ne pouvait lui reprocher de baisser les bras. En vieillissant, il nourrissait le projet de devenir auror, tel son père, tel Altair, ou alors tireur d’élite comme Cameron. Entre la violence de ses pairs et la pression qu’il subissait par rapport à ses études, il devint un jeune homme particulièrement nerveux et peu sûr de lui. Mais en lui, quelque chose brillait encore, quelque chose de fort.
***
«Pauvre Callaham, si seulement tes frères étaient là… Tu sais, ceux qui sont de véritables sorciers?»Wilson se dressait devant un camarade plus jeune, brutalisé par un groupe d’élèves de maisons diverses. Sa baguette dressée, il ne se dérobe pas un seul instant devant l’insulte qui vole avec nonchalance jusqu’à lui. Son regard, d’habitude si doux et docile, foudroie le leader de la bande avec une telle hargne que son adversaire hésite. Lorsqu’un des élèves lui vola sa baguette, celui qu’il défendait s’enfuit sans demander son reste. Pour sa part, le blondin se jetait contre le leader avec une telle force que l’autre s’en trouva renversé. Le Gryffondor voyait noir, enragé par la violence gratuite témoignée envers ce garçon de sa maison qui n’avait rien demandé. Notre héros savait parfaitement encaisser les coups des pires brutes mais ne pouvait supporter qu’on s’en prenne à d’autres, particulièrement les plus faibles. D’un coup de poing enragé, l’élève brisa le nez du leader. Les autres s’empressèrent de le dégager de sur le corps hurlant de sa victime et de le jeter dans un coin où il se relevait juste à temps pour subir un sort de ligotage dont il tenta vainement de se dégager. Pendant ce temps, le pauvre étudiant au nez cassé se redressait avec difficulté, tremblant et en douleur, pour observer de haut celui qui gisait désormais sur le sol.
«T’es complètement barjot, Callaham!»
«Hé, Peters? Va donc voir dans les fesses d’un centaure si j’y suis!»Quelque chose dans son regard les dissuada. Ils déguerpirent sans plus attendre et ce jour-là il gagnait une part de respect de la part de ses camarades.
***
Sixième et septièmes années furent particulièrement tendues pour Wilson. Il devait à la fois composer avec les élans émotifs de l’adolescence et son ambition toujours aussi difficile à atteindre d’obtenir les notes nécessaires pour accéder à son rêve. Il y fit plusieurs rencontres alors, et eu d’ailleurs une première copine, une histoire qui s’acheva à la sortie du garçon de l’école magique. Le policier se souvient encore sans mal de l’attente interminable pour ses résultats scolaires cet été-là. Le jeune homme passait alors tout son temps devant la fenêtre à guetter l’apparition d’un hibou, et lorsque la silhouette gracile d’une chouette vint se poser contre la clôture qui délimitait la demeure, il se précipitait sous la pluie battante pour préserver l’enveloppe épaisse du mépris des gouttes tombantes et se réfugiait dans une pièce du grenier. Entre deux malles poussiéreuses il trouvait la quiétude recherchée pour ouvrir la lettre et découvrir ses résultats. Pendant plusieurs années il avait travaillé durement pour combler ses lacunes. Il ne possédait pas le talent naturel de ses frères pour la magie, la ruse d’Alastair, le charisme de Cameron ou la débrouillardise de Morgan. Par contre il bossait plus durement que les trois réunis. Alors lorsqu’il défit l’enveloppe pour considérer ses résultats, quelque chose en lui craqua, quelque chose en lui qui ne réparerait pas et qui formait un gouffre en lui d’amertume et de désillusions.
Il ne su que faire, que dire. En bas, toute une famille attendait tout aussi fébrilement que lui l’annonce de ses résultats. Alors il s’immobilisa dans le grenier des heures, jusqu’à ce qu’on comprit qu’il ne descendrait pas. Cameron fut celui pour gravir les marches et s’approcher de son jeune frère affligé. Il se trouva entre ses deux malles, désaxé, hagard. Et dans ses yeux quelque chose s’était éteint. La panique s’empara de l’aîné alors qu’il accourait à ses côtés. Il s’empara de Wilson qui reposait contre lui, désarticulé et aussi mou qu’une poupée de chiffon. Terrorisé de voir son rayon de soleil se ternir ainsi, il le secoua, le secoua jusqu’à ce que de lui-même, l’adolescent n’éclate en profonds sanglots. Ses pleurs durèrent des jours, des jours de désespoir qui s’achevèrent sur une nouvelle résolution. Il parviendrait à son objectif, coûte que coûte. Pour le moment, il prendrait la route évidente en s’engageant dans la police, ce qui ne fut pas bien difficile pour lui. Progressivement, il reprenait de la bête, mais il était évident qu’il ne serait plus jamais le même. Il y avait quelque chose de faux dans ses sourires alors qu’il portait son tout nouvel uniforme pour l’exhiber devant ses frères, quelque chose de trop convaincu dans son bonheur.
Wilson travailla d’abord comme simple patrouilleur à temps partiel, de quoi prendre de l’expérience sur le terrain et de lui permettre de prendre quelques cours en plus. Il désirait toujours se reprendre et devenir auror ou tireur d’élite. Néanmoins la vie l’entraîna bientôt dans un nouveau rythme qu’il lui fut difficile de s’en tenir à toutes les promesses qu’il avait pu prononcer sous le couvert de la jeunesse. Il se buta alors à un mur, au plus grand défi de l’expérience humaine qui malheureusement brise plus de rêves qu’il n’en consacre : l’âge adulte. Ses frères avaient tous quitté la demeure familiale pour mener leurs existences, Alastair et Morgan mariés et bientôt pères, et Wilson eut aussitôt l’envie de les imiter. Il prit un petit appartement de Londres qui devint rapidement bien difficile à payer. Il compensait en travaillant davantage, ce qui pénalisait ses résultats. Année après année, les résultats revenaient, identiques, jusqu’à ce qu’il se résigne. La routine l’avait emporté par son terrible engrenage. Il se noyait désormais sous les flots de ses habitudes qui devinrent bientôt plus rassurants que l’audace de ses projets. Il se terrait progressivement parmi un conformisme obstiné, espérait probablement ranger son existence de la même façon que deux de ses frères aînés ayant trouvé l’âme soeur et qui fondaient tour à tour des familles.
L’occasion se présenta à lui sous la forme d’une jolie brunette aux impressionnantes boucles brunes. Elle se nommait Moranda. De quelques années sa cadette, elle sortait tout juste de son instruction à Poudlard et profitait de sa jeunesse et de la fortune familiale en échappant du mieux qu’elle le pouvait les préjugés et la mauvaise réputation qui lui collait aux basques. Son affiliation avec un jeune homme tel que Wilson lui assurait un peu de stabilité parmi sa vie tumultueuse de fêtes et d’hédonisme. Lui qui devait seulement servir à calmer les frustrations de ses parents se trouva à être plus attachant que prévu, et Moranda s’éprit de lui. Probablement jamais autant que ce que ressentait le policier à son égard. Elle le dénicha au coin d’une rue où il patrouillait. Quelque chose dans la candeur et la bonté de ses yeux pairs lui plut. Il lui semblait si docile, si doux, qu’elle se dit aussitôt qu’il ferait l’affaire. Ses parents la menaçaient de lui couper les vivres si elle ne calmait pas ses ardeurs. Elle l’accosta et ce fut fait, ou presque. Wilson jouait son rôle à la perfection, peut-être trop. Leur liaison dura de longs mois, presque toute une année, avant que le blondin ne trouve le courage nécessaire pour poser son genou au sol et lui demander sa main. Il l’aimait réellement, bien qu’il se doutait bien quelque part que pour Moranda, il en était autrement.
Sitôt le malaise peignait son visage que le policier su que cette histoire n’aboutirait pas tel qu’il l’avait espéré. Elle ne prononça pas un mot alors qu’il se relevait, lentement, les épaules affaissées et le regard brûlant. Il quittait la pièce sans mot dire, le poids de ce refus silencieux contre lui, et son corps telle une enclume. Chaque fois qu’il voyait Morgan et Alastair auprès leurs femmes, il les enviait, mais que n’avait-il pas jalousé de ses aînés? Wilson, encore, s’alourdissait de ténèbres, suffoquait au sein de cette vie où il devait sans cesse se contenter du second choix. Un policier plutôt qu’un auror. Un oncle plutôt qu’un père. Cet optimisme qui le caractérisait s’égrainait entre ses doigts et il succombait peu à peu au désespoir. Lorsque son père rendit l’âme, quelques années plus tard, il comprit qu’il n’avait pas terminé de souffrir. Cette journée-là, son frère aîné n’était pas présent. Aux prémices de sa mort, les trois fils légitimes se disputaient encore son héritage. Comme si, plus de vingt ans après, les vieilles animosités enfouies sous les masques hypocrites reparaissaient. Wilson conservait sa neutralité, incapable de trancher. Le mépris qu’il devinait dans les yeux d’Alastair pour la première fois de sa vie faisait non sens. Pourtant il avait toujours été là, inconscient et profond. Il était le bâtard et le serait toujours, et son père le menteur ayant osé tromper sa mère.
Certains mots ne s’effaceraient jamais. Malgré les excuses qui vinrent après, les blessures ne s’apaisaient plus. Sans les interventions bienfaisantes d’Isaac, les frères dérivèrent lentement les uns des autres. Jamais au monde Wilson ne s’était senti plus seul. Il y pensait souvent, au temps, à la mort et à l’amour, à celui qui passe sans considération, à l’inévitable et à celle l’ayant trahie. Seule l’épouse d’Alastair qui le tenait en amitié su rapprocher un peu les deux, mais une froideur subsistait. Puis, la cassure.
* * *
«Margaret?»Elle pleurait. Ses mains trouvaient les siennes, il pleuvait si fort, mais elle n’osait bouger. Dans la pénombre, sa peau comme translucide et frigorifiée. Combien de temps, immobile, se tenait-elle au pas de sa porte? Tremblée, tremblante, elle s’écroulait dans ses bras. Il la cueillait, tendre et paniqué, la tirant à l’intérieur. Elle trouva la sol où elle s’assit pour ne pas tomber à nouveau, le marron de ses prunelles rivé vers un horizon visible d’elle, elle seule. Wilson la scrutait, le chaviré d’assister à tant de souffrance chez sa belle-sœur, chez sa meilleure amie. Sa gorge se serrait d’imaginer le pire, mais il n’osait la presser alors que son masque se brisait en sanglots. Elle emprisonnait de ses bras sa propre poitrine secouée de spasmes douloureux alors qu’il accourait pour la couvrir d’une épaisse couverture de laine. Le policier n’aurait pas su la réchauffer. Le froid s’était fait bien au-delà que ses vêtements trempés et sa peau gelée. Il grandissait en elle et le consuma, lui aussi, lorsqu’elle leva les yeux vers lui. Deux prunelles sombres, abyssales, qu’il ne reconnut pas. Elles étaient ternes, ravagées, éteintes.
«Margaret…»Ses mains gantées trouvaient le visage de son beau-frère. Elle y cueillait sa bonté, qu’elle espérait voir apaiser sa peine. Sa rage. Mais il lui paraissait si loin, derrière les remparts de sa souffrance. Elle parvenait à peine à respirer, ainsi ces quelques syllabes s’échappant de ses lèvres frémissantes s’hachaient d’efforts surhumains.
«Au-Au-tumn.»Autumn. Fille de Margaret et d’Alastair, aînée de leurs deux enfants. Quelque chose en le jeune homme se suspendit, brisé d’horreur à la perspective que malheur ait pu se produire à la prunelle de ses yeux, sa nièce favorite, une enfant aussi lumineuse qu’il l’était de sa jeunesse. Wilson refermait ses mains contre les épaules de sa belle-sœur qui tremblait si fort, si fort, à s’entrechoquer les os. Il n’osait pas poser la question, mais la retenait fermement alors qu’elle pleurait contre lui, le cœur d’une mère chaviré. De longues minutes s’écoulèrent ainsi, sur le porche, le silence troublé par les pleurs de la jeune femme et du clapotis furieux de la pluie contre les carreaux. Des heures peut-être. Elle se mit à parler lorsque le flot de son désespoir ne laissa plus place qu’à un vide abyssal.
«Je n’avais pas vu. La clôture de la cour s’était entrouverte. Le vent, le chien, peut-être même était-ce Alastair. Je ne saurais dire. Ça n’a plus d’importance. Plus maintenant. La petite, elle est sortie. Tu la connais, quatre ans seulement et elle ne tient pas en place. Il fallait qu’elle s’aventure hors de la cour, qu’elle aille voir les voitures et les passants. Nous avons passé la nuit à la chercher, Wilson.»
«… Pourquoi ne pas m’avoir appelé… Margaret…»Il combattait les larmes désormais. Autumn, disparue? Oh, si seulement l’horreur s’arrêtait là.
«Nous étions pris par nos recherches. Trop paniqués pour penser. Alastair l’a retrouvée. Juste à temps. Un Moldu a dû lui prendre la main, et l’a dirigée vers la rivière. Tu sais ce qu’on raconte sur certains tarés de Londres…»Non. Les traits de son beau-frère se décomposaient d’horreur.
«Je ne sais pas comment on fait, Wilson, pour s’en prendre à un enfant. Comment?»
«Qu’est-ce qu’il lui a fait?»Margaret ne répondait pas. Sa gorge entravée par la fureur, par le désespoir.
«Margaret, qu’est-ce qu’il lui a fait?!»Il avait crié. Lui qui ne haussait jamais la voix. La colère pulsait parmi ses veines, ses prunelles azurées réduites à deux fentes houleuses et troublées. Il la secouait un peu trop brusquement probablement, elle ne se débattait pas. La fière Margaret n’était plus qu’une poupée de chiffons entre ses mains.
«Il l’a battue avec un bâton près de la rivière. Alastair l’a surpris en flagrant délit. Je ne sais pas comment il a pu… Il l’a attaqué, le laissant pour mort mais…»Son corps se crispa sous la poigne de son beau-frère. Quelque chose en elle se débattait, mordait et grifait, quelque chose de primitif et profond. Ses iris sombres rougeoyaient d’une fureur violente. Lorsqu’elle parla de nouveau, ce fut dans un cri, un cri provenant des tripes, un aboiement inconsolable.
«Je l’aurais tué Wilson! Je l’aurais tué!»Elle hurlait. Sa voix se déchira, les sanglots une fois de plus la traversent alors qu’elle pensait bien n’avoir plus rien à pleurer. Wilson la tint contre lui, si fort qu’il menaçait de la briser. L’impuissance et le courroux le dévoraient, il inspirait profondément pour ne pas sombrer, comme elle, dans la rage et la violence. Mais il se doutait, il se doutait de ce qu’elle dirait ensuite. D’une voix aigüe et brisée, elle articula difficilement.
«Ils l’ont pris. À Azkaban. Je ne sais pas s’il reviendra Wilson.»Il inspirait difficilement, bouleversé par le sort qu’on réservait à son frère. Lui adepte de justice ne pouvait cette fois se retourner vers le réconfort des lois pour guider ses actions. N’aurait-il pas agi de même?
* * *
Autumn survivrait. Non sans séquelles. Il y avait toujours chez elle une crainte qui ne se résorbait pas en vieillissant. Elle avait changé, d’enfant ensoleillée à gamine-fantôme, silencieuse et réservée. Elle aurait toujours aussi une hésitation dans la jambe droite, un handicap qu’aucune magie n’avait su guérir jusqu’à présent. Pour ce qui était d’Alastair, il passa trois années à la prison des sorciers. Lui aussi avait changé. Jamais l’homme le plus particulièrement chaleureux, il avait perdu tout ce qui lui restait d’estime pour le monde. Lorsque Wilson l’accueillit à sa sortie de prison, il n’osa pas même le regarder, aigri, furieux et incapable de gérer ses plus anciennes frustrations. Avec Margaret aussi, il changeait, autrefois époux passionné, désormais distant, voire même méchant même s’il n’oserait jamais lever la main sur elle. Un gouffre se formait tout de même, entre lui et le reste du monde. Seul Cameron parvenait encore à l’approcher. Quelques mois plus tard, Alastair disparu, et on ne sut pas tout de suite pourquoi, jusqu’à ce Wilson ne retrouve parmi la filière des sorciers recherchés, des adeptes de Grindelwald, son frère aîné. Le premier frère avait sombré. Morgan suivi quelques mois après, en plus grande discrétion. Il conservait sa place au Ministère, tout en s’adonnant à ses pratiques illégales la nuit. Mais son frère savait, sans oser dénoncer son frère pour ses machinations. Et puis ce fut Cameron.
* * *
«Tu t’en vas, toi aussi.»Cameron avait l’audace de sourire. Quand ne le faisait-il pas de toute façon. La rage bouillait dans le regard de son frère. L’aîné scrutait son cadet, incapable de déterminer le moment où Wilson était devenu si amer, si rancunier. Mais quelque part, il comprenait.
«Tu ne comprends pas. Je le fais pour toi.»Lorsque son petit frère le bouscula brutalement, il perdit aussitôt son rictus pour le considérer gravement, le cœur en peine. Il détestait lui infliger ceci. De lire la déception dans le regard du jeune homme, la honte, la rancune. Il soupirait, incapable de s’expliquer. Il n’était pas doué des mots. Il avait espéré que Wilson saurait lire entre les lignes.
«Et pour Autumn aussi.»Le visage de Cameron s’assombrissait, mais jamais autant que celui du blond. Méconnaissable. Difficile de croire qu’il avait devant lui le tranquille patrouilleur au sourire avenant.
«Comment osez-vous vous servir d’elle comme raison pour motiver vos petites quêtes de pouvoir personnelles? À quel moment exactement, Cameron, mes héros ont-ils cessé de croire en la justice qu’ils incarnaient?»
«Il n’y a pas de justice, tu le sais bien, Wilson.»Il se défendait à peine, incapable d’affronter la fureur du plus jeune plus longtemps. Il dit alors quelque chose qu’il ne prononçait jamais, même si chaque geste en était empreint, toujours.
«Je t’aime Wilson. Je suis venu ce soir pour que tu en sois convaincu, peu importe ce qui se produira dans l’avenir. Je veux que tu saches que tout ceci, je le fais pour une raison qui dépasse ce que tu peux penser ou croire. Et que si, un jour, tu as besoin de moi… Tu sauras me trouver. Je serai toujours présent pour toi, mon frère.»Mais Wilson ne répondit pas. Et Cameron partit, lui aussi, parmi les ténèbres, se dédiant tout entier à la cause partisane.
* * *
Totalement impuissant. Il pouvait bien se lancer à leur poursuite, à Cameron et à Alastair, les faire enfermer à Azkaban, mais quel bien lui ferait-il? Malgré toute sa rancœur, Wilson ne pouvait s’abaisser à dénoncer Morgan ou à capturer ses aînés. Alors il prenait son mal en patience, entravé de doutes. Il ne pouvait que prendre soin de Margaret et de ses deux enfants, ainsi que d’aller de l’avant, en espérant, un jour, ramener ses frères à lui.