[Début mai] Dessiner suspend la pensée. [PV Mona Matrenil]

C’est le soir. Après le repas. Après la balade dans le parc. Orphée vient d’arriver dans la salle commune. Il s’est assis dans un coin à l’écart des autres sur un gros fauteuil bleu. Le tissu bleu du siège contraste avec les cheveux blonds d’Orphée et avec ses habits blancs. Il s’est changé en revenant de sa balade. Son pantalon et son haut d’un blanc immaculé en coton lui ont été achetés par son père il y a quelques mois. Orphée frotte sa joue contre son genou droit tout en mangeant une pomme. Cette pomme est sucrée et croquante.

En vingt-et-un coups de dents, il ne reste plus que le trognon. Orphée fait voler le reste de sa pomme jusqu’au feu en le dirigeant avec sa baguette. Une fois dans les flammes le cadavre de la pomme brûle lentement. Orphée le contemple tout ce temps. Les pommes ont-elles un esprit ? Dans ce cas, est-il plutôt relié au trognon ou au reste de la pomme ? Orphée lance un long regard à son ventre, relevant son haut pour observer sa peau blanche. Pas de place pour un esprit dans un ventre aussi plat, il se sentirait mal, à l’étroit. Et puis, s’il était là, il devrait voir quelque chose de changé peut-être ou le ressentir… Non, l’esprit de la pomme avait du partir dans les flammes et l’air. Libre. Comme celui de papa.

Orphée plonge sa main dans son sac pour récupérer un livre et un parchemin. Prenant appui sur son livre qu’il pose sur ses genoux, il se met à rédiger son devoir d’Arithmancie. Son écriture est ronde et appliquée, toujours nette et sans accroc. Il écrit sans hésitation, tout à fait à l’aise dans cette matière. C’est d’ailleurs sans doute sa matière préférée, son père lui ayant transmis sa passion. Avec sa main gauche, il joue avec le bas de son pantalon. Dans la salle commune, souvent, il ne porte pas de chaussures. Là, ses pieds portant uniquement deux grosses chaussettes blanches, sont posés sur le fauteuil. Il agite machinalement ses orteils tout en réfléchissant. Le bruit de la plume frottant le papier l’aide à se concentrer. Il est dans son petit monde de logique, clair et inaltérable.

Je m'ennuie.
Cette phrase, cela faisais la vingtième fois que je me la ressassais dans la tête, totalement désœuvrée. Toutes mes leçons était finis, recopiés au propre, je ne savais pas jouer au échec et j'aimais bien être dans mon coin. Rabattant ma capuche sur ma tête, je regardais par la fenêtre, songeuse. C'était si beau à l'extérieur, dommage qu'il faisais déjà nuit, sinon je serais aller y faire un tour.

En désespoir de cause, j'allais chercher dans le dortoir ma pochette à dessin pour tenter de croquer l'ambiance de la salle, ambiance que j'avais déjà dessiner bon nombre de fois. Redescendant, je repris ma place près de la fenêtre, ma capuche toujours sur ma tête et sortit une feuille vierge avant de laisser mon regard parcourir la salle.
Il fus bientôt attiré par une silhouette blanche inhabituelle que l'on voyait très peu. Son propriétaire était connu pour ne pas être très sociable, Orphée qu'il s'appellait je crois, comme le dieu du sommeil. Ah non le dieu c'est Morphée, pas Orphée. Tant pis, en tout cas il m'avais apporter un bon sujet de dessin, lui même.

Je me postais de sorte à le voir à peu près sans le gêner et me mis à le dessiner, concentré, à la limite de tirer la langue pour m'appliquer. Bientôt l'heure passa et je ne tins plus compte de personne, ne remarquant pas que tout le monde partait sauf mon modèle et moi même.

Orphée replia son parchemin. Il avait fini de rédiger son devoir, traitant des théories de Septimus Tripoli, et surtout de leurs démonstrations. Dire que les autres élèves avaient du supporter de ne faire qu’apprendre par cœur au début et que c’était seulement maintenant, en 5ème année, que l’on commençait à décortiquer les raisonnements fondateurs de l’Arithmancie. Orphée était très heureux que son père lui ait appris cette science et ses mystères. Son père. Ses recherches. Une idée lui vient subitement, comme ci retracer les travaux de Tripoli l'avait aidé à y voir plus clair. Comme si un chemin s’était éclairé dans son esprit.

Orphée attrapa précipitamment un autre parchemin et se mit à écrire à une vitesse folle. Son écriture restait belle et propre mais le soin qu’il apportait habituellement aux finitions manquait. Il reprenait un sujet de recherche de son père, basé sur l’utilisation d’un autre alphabet que celui de Tripoli. En changeant ça. Et ça. Oui ! On arrivait à quelque chose de beaucoup plus logique. Il fallait encore adapter le principe d’interprétation et incorporer les nuances que son père voulait pouvoir définir. Orphée, c’était le cas qui embêtait le plus son père. Les prédictions qu’il faisait sur son fils étaient le plus souvent erronées ou contradictoires.

Orphée se mit alors à recalculer ses nombres avec ce système. Il n’avait plus de papier. Il ne pouvait pas s’arrêter pour aller chercher du parchemin, il fallait qu’il sache si cela fonctionnait. Orphée se mit à écrire sur son avant-bras, tâchant d’encre noire sa peau d’ivoire. Un gémissement s’échappa d’entre ses lèvres. Il avait du faire une erreur quelque part. C’était incohérent. Il obtenait des résultats totalement incohérents ! Il lâcha sa plume, et mis sa tête entre ses bras, épuisé. Cela ne fonctionnait pas. Il avait encore échoué. Cette sensation était terrible. De l’encre macula son visage et quelques unes de ses mèches blondes qui pendant sur son front. Echoué. Ses pensées se bousculaient dans son esprit et tout son raisonnement, sans sens de toute manière, se délitait.

Je le regardais à la dérobé s'écrire dessus, mon dessin pas finaliser. Quand j'avais retourner la tête vers lui, il s'était saisi d'une feuille vierge et c'était mis à écrire dessus comme un forcené, ce qui m'avait surprise, et j'avais délaisser mon croquis pour le regarder en silence. Alors quand il s'était mis à s'écrire dessus, j'avais été encore plus surprise et j'avais finis par oublier mon dessin.
Cependant, je jetais un énième coup d'oeil autour de nous pour vérifier que personne n'était là à assister à sa folie, déjà que moi je me sentais étrangère, j'avais peur que d'autre y assiste et se moque de lui à l'avenir.

-Oh

Il venait de gémir et ça m'inquiétais. Alors quand en plus il se pris la tête entre les mains, ce fut la panique totale. Il était malade ? Il voulait aller à l'infirmerie, je m'inquiétais.
Me relevant, je m'approchais de lui et caressais timidement ses cheveux pour le rassurer.

-Ca va pas ? Tu veut aller à l'infirmerie.

Je m'accroupis de ma petite hauteur et le regardai sous son rideau de cheveux, le visage baigné par ma peur et mon envie de l'aider . Mes larmes ne tardèrent pas à venir en voyant ses yeux en détresse.

-Je peut faire quelque chose pour toi ? Tu a mal quelque part ?

Pardon papa. Je n’arrive même pas à continuer ton travail, à te faire vivre à travers lui. Pardon. Pardon de le laisser mourir comme je t’ai laissé mourir. Je suis impuissant. Je me sens tellement mal d’être impuissant. Je subis. J’attends. J’observe ma vie qui défile et les autres qui courent en tout sens et qui tombent. Qui se dérobent à mon regard. Qui tombent. Dans le néant.

J’entends une voix. Une voix aiguë et frêle. Une voix un peu tremblante, avec de petites notes cristallines inquiètes. J’entends des mots. Des mots prononcés par la voix. Est-ce que ça va ? Non. L’infirmerie ? Non, certainement pas. Une petite main frôle mes cheveux. Un horrible frisson traverse mon corps et je me fige.

Orphée est comme pétrifié par le contact de la petite Serdaigle. Il fixe le vide. Son désespoir est peu à peu remplacé par un autre sentiment. Un sentiment glacial, intrusif. Comme si la petite main touchait tout son corps et se faufilait à l’intérieur d’Orphée pour atteindre son cœur et le serrer. Pour saisir son âme à travers sa chair.

- Je peux faire quelque chose pour toi ? Tu as mal quelque part ?

Orphée ne comprend pas. Il ne comprend pas ce qu’elle dit. Ou plutôt, il ne l’entend pas. Tout son esprit est concentré sur cette main. Ce frôlement. Ces doigts dans ses cheveux.

- Ne me touche pas… lâche-t-il dans un râle.

Ne me touche pas, ça me fait mal. Ne me touche pas, ça me rend mal. Ne me touche pas, tu pourrais être aussi mal que moi. Rares sont ceux qui me touchent volontairement. Je comprends ceux qui me fuient. Et si cela pouvait se transmettre ? Ils fuient ce qui est différent. Et bien, c’est pareil pour moi. Vous êtes différents. Ne me touchez pas. Tous vos gestes, votre vie, votre énergie, vos expressions… Vos sentiments ! Tout cela est trop fort pour moi, je ne veux pas le voir, et encore moins le ressentir. Quand vous me touchez, c’est comme si vous déversiez en moi ce que vous êtes. Toute cette énergie. Je ne peux pas…

Orphée croise le regard de la petite Serdaigle. Des larmes ? Est-il responsable ? Des larmes de joie ? De tristesse ? Est-ce qu’elle a mal ? C’est peut-être de l’avoir approché… De l’avoir touché… Elle n’aurait pas du. Cette petite… Elle dessine souvent le soir. Elle passe de longues heures seule dans son coin. Pourquoi ? Elle pourrait aller avec les autres… Elle n’est pas obligée d’être seule. Des larmes… Orphée ne comprend pas.

- Pourquoi pleures-tu ?

Il parle de façon hachée. Sa voix est grave, cassée. Comme s’il avait pleuré des heures durant. Mais non… Il a mal à la gorge. Très fort. C'est comme si on lui avait lancé un sortilège cuisant à cet endroit. Mais il ne pleure pas. Les larmes roulent sur les joues de la fille, mais lui est incapable de cela. Incapable de laisser sa douleur s’exprimer, sortir de lui.


« Les larmes, plus que les mots, sont un signe d'humanité. »

Je retombais sur les fesses en le voyant sursauter sous mon contact. Me redressant, je retombais à nouveau en l'entendant m'interdire de le toucher. Pourtant je ne lui avais rien fait de mal. Au contraire je m'inquiétais pour lui.
Mes larmes coulèrent à nouveau, s'ajoutant à celle de sa détresse.
Soudainement il prononça quelque mots et je lui souris doucement, l'encourageant à continuer. Sa voix était bizarre, mais l'entendre me parler signifiait qu'il acceptait. Cependant, il ne voulais pas que je le touche, très bien, je ne le ferais pas.

-Pourquoi je pleure ? Je pleure car tu a l'air si triste et si éloigné des autres. Cela est triste de te voir comme ça. Tu a pas réussi à faire ce que tu voulais ?

Je lui pris doucement le bras où il s'était écris et recopiait fidèlement tout ce qui était marquer sur l'une de mes feuilles A3. Cela fait, j'allais chercher de l'eau et un tissu pour lui laver le bras, veillant à ne pas le toucher.

-Voilà, tu peut continuer tes calculs. Tu a plus de place ici. Tu a l'air d'y tenir. Je n'y connais rien il est vrai, mais savoir que cela te plais, ça me conviens et mes feuilles de dessin sont à toi.

Je lui tendis la feuille où j'avais recopier en souriant et m'assis plus loin avec mon croquis entamé. Je ne pouvais pas le finir car il avait quitter sa pause, mais je pouvais en faire un autre où il était en train de réfléchir. J'était sure que cela lui plairait, du moins je l'espérais.