[1943 - Automne] Une rencotnre surprenante | Una

La campagne humide et déserte de son île manquait à Una depuis qu'elle habitait en ville et même depuis qu'elle avait accès au parc de Poudlard. Les petites averses n'effrayaient pas les élèves alors les occasions de profiter de cet espace pour échapper à la foule habituelle étaient rares, il fallait vraiment qu'il pleuve beaucoup. Heureusement, l'automne s'était bien installé et le temps se dégradait jusqu'à l'hiver, en attendant les premières neiges, les petites bruines et gros orages faisaient l'affaire. Ce jour-là, c'était mitigé. Non seulement l'école était vide à cause des vacances, mais la pluie était trop dense pour laisser les habitués des siestes dans la pelouse passer leur après-midi à vaquer à leurs occupations de plein air. C'était donc le moment rêver pour renouer un peu avec l'odeur de l'herbe mouillée et le bruit des gouttes sur les feuilles.

Tout cet espace était libre, ce qui faisait un bien fou. Una prit de grandes inspirations, se ressourçant de cet environnement isolé. Elle commença par marcher le long du lac, en admirant la vaste étendue d'eau s'agiter au contact de la pluie, ondulant gracieusement, dans une danse rythmée par la multitude de petits bruits qui étaient bien plus perceptibles lorsque aucun élève n'était là pour chahuter. Ne pas rentrer chez elle était sa meilleure décision, Una se félicita de s'être donné l'occasion de voir Poudlard sous ce jour si paisible. Un bien meilleur jour. Puis en quittant le lac, elle erra un temps entre les arbres, avant de s'échouer sous l'un d'entre eux.

Sa capuche qui protégeait ses cheveux n'était à présent plus d'aucune utilité, puisqu'elle était plus ou moins abritée par l'épais feuillage de l'érable sous lequel elle avait décidé de prendre une pause. D'ici, elle entendait les caprices du temps dans une toute autre acoustique, elle ferma les yeux pour encore mieux percevoir cette musique météorologique. Mais au bout de quelques secondes, un bruit bien différent vint parasiter sa communion avec la nature. C'était aussi un son qui lui était agréable, mais quelle ne s'attendait pas à croiser ici, la plume, non, le crayon grattant le papier, qui se stoppa également, peut-être surpris lui-aussi de cette rencontre.

En ouvrant ses paupières, Una put voir tout d'abord un pied, puis une jambe et une autre se poser délicatement à terre. Elle remonta légèrement son regard, craignant à un moment de croiser celui de la jeune fille - oui c'était bien une fille – qui venait de descendre de son arbre. Le bout de ses cheveux, puis son menton, ses lèvres et enfin sa voix qui la saluait tout en douceur ravivèrent sa mémoire sur la personne à qui tous ces éléments correspondaient. D'ordinaire, elle aurait marmonné quelque chose, tout en laissant ses yeux craintifs en dehors de toute confrontation, avant de prendre la fuite vers d'autres horizons. Oui mais, ces vacances n'étaient pas ordinaires et cette ambiance la rendait plus sereine, plus apte à communiquer avec quelqu'un. Elle finit par oser lui faire face et lui répondre :

« Tout à fait. Bonjour ! »

Le premier contact établi, elle sentit la panique revenir pour l'emporter. Que devait-elle faire maintenant ? Qu'est-ce que les personnes normales qui parlaient normalement faisaient pour paraître agréables ? Comment s'y était-elle prise pour lier une amitié avec Ina, au début.

On parle de moi ?

Non, non. Ina n'était pas un bon exemple. Lui donner de l'importance, c'était l'inviter à occuper son esprit de nouveau et ce n'était pas souhaitable. Pas quand elle essayait d'établir un lien avec quelqu'un. Son manque d'assurance suffisait, elle n'avait pas besoin de ça en plus. Elle ne voulait pas passer pour une folle. Elle ne voulait pas être folle. Elle s'empressa de dire quelque chose, d'un ton toujours très timide :

« Et toi ? Je... j'ai oublié ton nom désolée ! »

Ce qui aurait pu être une technique pour casser le blanc qui menaçait d'obscurcir leur début de conversation, mais qui n'était même pas un mensonge car si elle voyait à peu près à qui elle était en train de parler, elle n'avait aucun souvenir de son identité, sans savoir si elle l'avait vraiment connue à un moment ou à un autre. Puis, consciente que ça ne suffisait pas à entamer une discussion, elle se hasarda sur un sujet qui la faisait passer pour vraiment moins éveillée qu'elle ne l'était :

« Alors tu es restée à l'école pour les vacances ? »

Oui, Una, sinon elle ne serait pas devant toi.

Mona. Oui, Mona. A présent qu'elle lui avait donné son identité, c'était comme une évidence. Una pouvait entendre dans sa tête les échos des voix dans la salle commune. June, Aidan, Mona... Mona avait raison, de la première à la septième année, même en se contentant des Serdaigle, il y avait beaucoup de prénoms à retenir, mais ce n'était pas une excuse. Le vrai problème n'était pas un manque de mémoire mais un manque d'intérêt. Tous les noms qu'elle avait pu percevoir depuis son arrivée venaient de fuites dans le barrage qu'elle créait entre les autres et elle, lorsqu'une voix parvenait à s'infiltrer et à se frayer un chemin, même si elle faisait tout pour l'ignorer. Elle ne regrettait pas de se fermer ainsi, pour elle c'était une protection nécessaire, son instinct de survie, son bouclier contre ses craintes.

En ce moment, elle était dans l'arène et complètement désarmée. Cette jeune fille avait percé ses défenses, qui s'étaient un peu affaiblies avec la quiétude de la période de congés. Par chance, ce n'était pas un féroce gladiateur qu'elle avait en face d'elle. Non, c'était juste une élève, pas aussi perdue qu'elle mais qui manifestait aussi une gêne visible. Là où Una glissait nerveusement ses longues mèches entre ses doigts, les serrant, les tirant, les lâchant ou les tortillant, Mona se balançait. Peut-être que c'était Una elle-même qui la mettait mal à l'aise et à cette idée, elle fit preuve d'une empathie qu'elle n'avait jamais connue : elle culpabilisa de la déranger autant. Mais peut-être qu'elle aimait juste se balancer, en fin de compte et cette pensée rassura un peu Una et la conversation se poursuivit.

« Ah d'accord. »

Il y avait une infinité de réponses possibles meilleures que « ah d'accord » mais sur le coup, l'Ecossaise ne réussit pas à en sortir une. Elle aurait pu lui demander pourquoi, histoire de montrer qu'elle s'intéressait, mais d'un autre côté c'était indiscret, elles venaient à peine de se rencontrer. Elle aurait pu tout aussi bien enchaîner sur le fait qu'elle non plus, n'avait pas tellement envie de rentrer chez elle, Mona se serait sentie moins seule. Aucun mot supplémentaire ne sortit et s'instaura un blanc beaucoup plus perturbant que le fait de discuter. D'ordinaire pourtant, le silence était son allié, mais là, même le bruit de la pluie qui se faisait entendre pendant le moment où les deux élèves ne prononçaient pas une phrase était trop fort, presque désagréable.

En la voyant ranger ses affaires pourtant, un sujet lui vint presque tout seul mais au moment d'ouvrir la bouche, ce fut Mona la plus rapide et Una se ravisa, un peu gênée. Au vu de la question qui venait de sortir, son interlocutrice était aussi douée qu'elle pour ce genre de choses. Dans un sens, c'était un peu réconfortant, peut-être qu'elle-même de son côté était dans le même état de panique.

« Oui ! »

Rajoute quelque chose. Ne reste pas là-dessus, ce n'est pas comme ça que ça marche.

« Je... j'aime bien les cours. A part la botanique. La bibliothèque est bien aussi, beaucoup plus grande que celle que j'avais chez moi que je trouvais déjà très... grande. Le parc est agréable quand il pleut... »

...mais bien moins que mon île. Enfin, elle n'est pas obligée de le savoir.

« Et toi ? »

Lui revint alors son occasion ratée de tout à l'heure et après avoir écouté patiemment la réponse de sa camarade, elle relança un sujet, trop heureuse d'avoir réussi à limiter les espaces gênants entre leurs prises de parole.

« Ca fait longtemps que tu dessines ? »

Parler aux gens de leurs intérêts était un bon moyen de rendre la conversation intéressante. Les rares qui avaient réussi le tour de force de faire parler étaient ceux qui lui posaient des questions sur ses lectures. De plus, elle était curieuse de voir ce que Mona avait créé, mais jamais elle n'oserait lui demander de regarder. Elle admirait ceux qui savaient dessiner et était d'ailleurs souvent plantée devant un tableau ou un autre dans les couloirs de l'école, lorsqu'elle n'était ni dans le parc, ni dans la bibliothèque. Sans être le domaine où elle s'épanouissait, elle maintenait un certain attrait pour l'art. Elle ne regrettait pas de ne pas avoir cette habileté graphique, en dépit de son écriture soignée, car elle avait choisi d'étendre ses capacités dans d'autres domaines, elle était quelqu'un de logique, pas quelqu'un de créatif, il fallait faire avec.

Malgré une maladresse évidente, Una avait un certain enthousiasme à parler de ce qu'elle aimait à Poudlard et voir le sourire de Mona la rassurait un peu, jusqu'au moment où elle en vint à penser que c'était peut être ses hésitations qui l'amusaient, auquel cas, c'était un peu gênant. Tous les jours elle se sentait jugée par chaque paire d'yeux posée sur elle, sa raison avait beau lui dire que ce n'était pas le cas, elle ne pouvait pas s'empêcher de le ressentir. C'était un peu le cas aujourd'hui encore, mais le cadre était plus favorable à lui faire voir cette jeune fille en face d'elle comme une alliée et son sourire comme encourageant. Aussi, elle le lui rendit, avec une certaine douceur, mais surtout une certaine gêne qui semblait être sa marque de fabrique. A son tour, elle écouta patiemment son interlocutrice exposer son avis sur Poudlard.

Un avis un peu intriguant, d'ailleurs, mais il fut mentionné de manière si succincte qu'Una en déduisit qu'il ne valait mieux pas la questionner sur le sujet. Mona avait déjà évoqué plus tôt son appréhension de rentrer chez elle, peut-être avait-elle besoin d'en parler mais Una n'était pas convaincue d'être la meilleure personne pour ça. Elle venait à peine de la rencontrer et elle ne savait pas parler aux autres, elle ne serait pas d'une très grande utilité. Elle-même n'avait aucune envie de rentrer à Glasgow, c'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle se trouvait ici et, tout en sachant qu'elle n'avait pas de lourd secret, elle ne se sentait pas d'expliquer pourquoi elle était mal-à-l'aise avec sa famille.

Le sujet du dessin vint alors alléger un peu l'ambiance, même si les explications de Mona étaient plus brèves que ce qu'Una aurait espéré. Après tout, peut-être que sa camarade se disait aussi qu'elle ne voudrait pas l'ennuyer avec de longs discours sur l'art, ce qui n'aurait pas été le cas. Ah, elle pensait trop ! Elle se tira un peu plus fort sur les cheveux, comme si la légère douleur provoquée par ce geste pouvait l'empêcher de se tourmenter. Elle savait que lorsqu'elle se perdait dans ses réflexions, elle rencontrait toujours dans un coin de sa tête, une pensée intruse, quelque chose qu'elle ne désirait pas. Et qu'il ne fallait surtout pas nommer. Elle tira encore. Heureusement, Mona l'aida à passer à autre chose.

« Oh ! Euh... J'adore la pluie et le froid !... » elle ajouta nerveusement « Tu dois me trouver bizarre ! » continuant à se justifier « C'est parce que je viens des Hébrides. T'as dû entendre mon accent écossais hein ! Ben je suis de l'Ecosse la plus reculée qu'on puisse imaginer... »

Parler de sa campagne d'origine la rendait un peu nostalgique. Glasgow ne lui plaisait pas du tout, elle voulait retourner sur son île isolée, dans son manoir au milieu de nulle part. Elle revoyait les collines embrumées et se disait que c'était un merveilleux paysage qui inspirerait probablement l'artiste qu'elle avait en face d'elle. Ca l'inspirait elle-même, alors qu'elle ne se livrait à aucune activité artistique. Il y avait un vieux piano dans une salle du manoir, peut-être aurait-elle dû en profiter pour s'ouvrir à cet autre monde. Un jour, elle en jouerait... peut-être... si elle retournait au manoir. Mais pour en revenir à la pluie...

« Enfin ! Je veux dire... Il pleut souvent là-bas et il fait plus froid qu'ailleurs, mais ça m'empêchait pas d'aller jouer dehors. T'es déjà allée dans ce coin là ? Tu dessines des paysages ? Tu viens d'où au fait ? »

Una ne savait pas vraiment pourquoi elle débitait autant de paroles, elle qui ne parlait jamais. C'était comme si elle essayait de noyer sa timidité sous un flot de paroles. Et d'un autre côté, elle en venait à apprécier de discuter avec quelqu'un. Elle posait des questions qu'elle n'avait jamais posé à personne et elle éprouvait un intérêt certain à savoir toutes ces choses sur sur cette potentielle amie. Non, c'était peut-être trop tôt pour parler d'amie...

Elle se sentit tout d'un coup vraiment ennuyeuse et ne put s'empêcher de s'excuser :

« Désolée... Je veux pas t'assommer de questions... »

Una sentit ses mains se faire embarquer par celles de Mona et eut un mouvement de recul, mi-surprise, mi-dérangée. Puis en sentant le vide provoqué par le relâchement de sa mèche de cheveux, elle comprit que ses manies étaient peut-être plus visibles que ce qu'elle ne le croyait et qu'elle devait faire attention à sa gestuelle, autrement on allait vraiment la croire folle, plus qu'un peu étrange, plus qu'un peu timide. Au moins leur discussion se poursuivait avec une certaine fluidité et elle put oublier ce contact qui avait lancé son cœur à toute allure, l'espace d'un instant. La deuxième année essayait de la mettre à l'aise et ce n'était pas une tâche aisée, mais au moins, elle parvenait à la faire communiquer comme quelqu'un de sensé.

Elle évoquait la désertion du parc les jours pluvieux et Una devait bien admettre que c'était un paramètre non négligeable. Mais en cette période de vacances, beaucoup de pièces étaient vides à l'école, alors son goût pour les caprices de la météo était un argument plus valable, compte tenu des circonstances. Elle se garda de préciser à sa camarade qu'elle partageait son besoin d'espaces vides, de toute façon c'était plutôt évident, mais apprécia silencieusement d'avoir ce trait en commun avec elle. En revanche, elle se désola de ne pas pouvoir échanger sur son île d'origine, mais ce n'était pas surprenant pour autant.

Mona habitait dans le Londres moldu, ce qui était presque à l'opposé du monde dans lequel avait été élevé Una. Elle baignait dans la magie depuis sa plus tendre enfance et vivait à l'écart de tout. A présent qu'elle habitait à Glasgow, elle pouvait un peu mieux visualiser la vie citadine, même en ne sortant que très peu de chez elle, mais restait dans un environnement magique. Elle ne savait absolument pas comment vivaient les moldus et ne s'était que très rarement posé la question. Elle avait beau s'intéresser à des domaines très variés, elle ne concevait pas un monde sans magie et donc avait du mal à se renseigner d'elle-même sur la vie des moldus. En revanche, peut-être que cette camarade pourrait à l'occasion lui en parler et Una l'écouterait avec grand intérêt.

« Je ne connais pas le monde des moldus... » se laissa-t-elle dire, pensivement.

Méditant sur ce que lui avait précisé Mona au sujet de ses dessins, l'Ecossaise ne dit plus un mot. Tout ce qui lui passait par les yeux ou par la tête. Una brûlait de jeter un œil à ces œuvres qu'elle ne connaissait pas encore. Elle devait trouver le courage de lui demander. Se sentant encore très nerveuse, elle joua avec l'herbe humide, cette fois, pour ne pas trop attirer l'attention sur ses tics. Elle avait vraiment besoin d'occuper ses mains, surtout dans ces moments de longs silences. Non, elle n'était vraiment pas douée pour les briser en ayant l'air naturel. Encore une fois, Mona la rassurait par ses paroles et ses sourires.

« Merci. Je n'y fais pas trop attention... »

Allez vas-y, demande-lui de regarder son dessin !

« Est-ce que... »

C'était un peu impressionnant.

« Enfin, je peux.. »

Elle inspira un grand coup.

« … voir tes dessins ? »

Voilà, c'était dit. Mais elle se sentait vraiment comme une intruse. Si Mona dessinait effectivement tout ce qui lui passait par la tête, c'était peut-être malvenu de chercher à savoir ce dont il s'agissait. C'était comme essayer de percevoir ses pensées au final. C'était peut-être un peu trop privé. Très embarrassée, Una s'empressa d'ajouter, à un débit peut-être un peu trop rapide, presque incompréhensible  :

« Enfinsiçatedérangec'estpasgravenet'inquiètepas. »

Respire.

Spoiler:

Alors même qu'elle entrouvrait pour la première fois le carton à dessins de Mona et qu'elle apercevait une de ses œuvres, Una fut frappée par l'expressivité et la technique de ces crayonnés pourtant parfaitement immobiles. Dans son manoir, il y avait des tableaux, dans ses livres, des illustrations et même à Poudlard, elle s'attardait de temps en temps dans les couloirs pour observer les peintures qui les occupaient ; mais c'était comme si elle découvrait l'art pour la première fois, car ce qu'elle avait à présent entre les mains, c'était cette fille qui l'avait produit. Cette fille qui lui parlait depuis un petit moment maintenant, qui avait presque son âge et qui étudiait dans la même école qu'elle, et c'était déroutant. Una ne ressentait pas de l'envie, ni même une once de jalousie, non, c'était autre chose, elle était à la fois admirative et touchée. Une partie d'elle remarquait objectivement quelques imperfections ou maladresses de l'artiste qui apprend ou qui a un style bien éloigné de la réalité et l'autre partie s'en moquait éperdument, embarquée dans cet univers qui la fit voyager loin, bien loin de cette pluie qui la berçait en cet après-midi automnal.

« Je dessine tout ce qui passe sous mes yeux, portrait, paysage, ce qui me passe par la tête aussi parfois. »

Cette phrase prononcée un peu plus tôt par sa camarade prenait tout son sens au fur et à mesure que la jeune fille parcourait ses productions artistiques. Ce même garçon en uniforme revenait souvent, c'était probablement un élève de Poudlard, peut-être un peu plus âgé, la plus jeune ne l'avait jamais vu ou en tout cas ne le reconnaissait pas. « Portrait. » En revanche, la salle commune lui sautait aux yeux comme si elle y était, mais elle avait cet aspect particulier, l'aspect que lui donne l'artiste avec sa propre vision et qui lui donne ce petit quelque chose qui l'arrache de la réalité. Etrange mais plus intéressante salle commune que celle qu'elle retrouverait le soir en se rendant à son dortoir, Una savait qu'elle garderait en tête cette représentation et qu'à présent qu'elle l'avait vue, elle ne percevrait pas cet environnement familier tout à fait de la même manière. Il en allait de même pour le parc qu'elle occupait en ce moment même et qui semblait d'un autre monde que celui du papier qu'elle tenait entre les mains et pas seulement à cause de la pluie. « Paysage. » Le reste du travail de Mona n'évoquait aucune personne ou endroit spécifique à Una mais pourtant lui paraissait plus expressif, elle rattacha ces derniers dessins à la fin de la phrase « Ce qui me passe par la tête aussi parfois. » et c'était un peu impressionnant, d'avoir accès à une partie de la tête de cette fille, elle venait à peine de réaliser à quel point sa camarade se livrait en lui autorisant à regarder dans sa pochette.

« Merci. » souffla-t-elle en refermant le carton, revenant doucement à la réalité.

C'est alors qu'elle remarqua la dernière feuille, retournée, qu'elle n'avait pas vue au premier abord, comme si tout son corps qui en demandait plus était récompensé par cette œuvre ultime qu'elle brûlait de voir. Elle ré-ouvrit la pochette en s'expliquant à Mona, d'une voix faible, un peu gênée :

« J'avais pas vu qu'il y en avait un autre... »

Puis elle retourna ce dernier dessin et se retrouva face à un nouveau portrait qui ne lui était pas familier non plus, mais qui dégageait quelque chose. Elle parvenait difficilement à comprendre ce que ce quelque chose était, tout comme elle avait eu du mal à s'expliquer ce qu'elle ressentait au sujet des œuvres précédentes, mais sur ce dessin final, c'était plus intense et sans connaître la personne qui figurait sur ce papier, elle était curieuse à son sujet, son intuition lui disait que c'était quelqu'un d'important pour sa camarade. Cette même intuition lui répétait de ne pas lui en demander plus et même si sa curiosité frappait très fort à l'intérieur, la jeune fille qui brûlait toujours de tout savoir et tout comprendre resta silencieuse et referma le carton, encore un peu remuée par les sentiments qui l'avaient traversée durant son entrée dans le monde de Mona. C'était aussi quelque chose qu'elle ne comprenait pas et qu'elle avait besoin de comprendre mais elle aurait tout le temps qu'il lui fallait pour y repenser sans se perturber davantage sur l'identité de ce dernier portrait. L'autre Serdaigle attendait probablement une réaction mais Una ne trouvait pas les mots. Ce ne fut qu'après un moment difficilement quantifiable qu'elle put lâcher, toujours un peu hésitante,un compliment qui lui convint pas, car c'était trop simpliste pour décrire tout ce qu'elle avait ressenti :

« C'est très beau ce que tu fais, tu sais. »

Il y aurait eu tellement d'autres choses à dire, mais elles ne venaient tout simplement pas. Peut-être qu'elle y réfléchissait trop et qu'il était temps qu'elle arrête de réfléchir trop aux choses, de juste les laisser passer et d'apprécier. Elle était trop jeune pour s'enfermer dans cette analyse perpétuelle de tout ce qui passait à travers elle ou autour d'elle, oh bien trop jeune ! Elle avait été trop seule trop longtemps, mais ce n'était plus le cas à présent. Elle en conclut avec un sourire doux à cette nouvelle amie :

« C'est comme si je te connaissais un peu mieux, maintenant. »

Surprise par l'étreinte de Mona, Una resta paralysée un moment, vraiment très mal à l'aise. Tout à l'heure, sa camarade lui avait pris les mains et c'était déjà la panique pour elle et à présent, elle la serrait contre elle ce qui était autrement plus terrifiant. Son cœur battait à lui en déchirer la poitrine, peut-être même qu'elle tremblait un peu, elle allait s'évanouir, c'était certain. Un instant d'une durée insignifiante, sans doute, mais tellement intense qu'il avait arrêté le temps et bloqué toutes ses pensées, l'espace de ce moment. A présent qu'il était fini, son esprit était libre de se tordre pour trouver une explication à ce geste. Bien sûr, on l'avait déjà câlinée, son père l'avait déjà prise dans ses bras et même l'arrière arrière grande-tante Morag, lorsqu'elle avait encore la moitié de toute sa tête, mais c'était différent. Il s'agissait d'une camarade, une fille de son âge qui encore quelques heures plus tôt n'était qu'une ombre dans sa salle commune qu'elle s'appliquait à ignorer tout comme les autres. Elle commençait à accepter de lui parler mais là, c'était juste trop. Enfin c'était fini et elle pouvait essayer d'oublier ce qui venait de se produire en se concentrant sur la voix de Mona qui lui répondait.

« Tu sais, des dessins ne reflètent pas une personne, ils ne parlent pas. Tout du moins les miens ne parlent pas. »

Una exprima un petit rire. Elle se trompait, cette nouvelle amie, ses dessins parlaient beaucoup plus qu'elle ne le croyait. Peut-être qu'elle ne le voyait pas, car c'était elle l'artiste, elle pensait reproduire le monde mais c'était le monde qu'elle voyait, un autre monde... Encore un peu sous le coup de l'émotion, la plus jeune avait du mal à reprendre la parole, elle tenta d'ouvrir la bouche mais aucun son n'en sortit. Elle en était un peu gênée, de cette timidité maladive qui la rendait trop sensible à cette approche physique et elle se demandait à quel point tout ce tumulte émotionnel se percevait de l'extérieur. Avait-elle le visage écarlate ou bien plus pâle encore que d'ordinaire ? Elle devait se ressaisir, tout son esprit lui criait de s'accrocher à ce lien qu'elle était en train de construire mais tout son cœur s'emparait de son corps pour l'empêcher de faire quoi que ce soit, ne serait-ce qu'aligner deux mots pour répondre à Mona.

Un effort considérable lui permit de saisir la main tendue de sa camarade brièvement pour se relever, avant de la relâcher, sans un mot, encore, pour la suivre où bon lui semblait. Alors qu'elles marchaient côte à côte, Una formulait dans sa tête mille phrases pour rattraper les choses et aucune ne lui semblait acceptable. Pouvait-elle s'excuser de sa réaction honteuse qui n'avait eue aucune chance de passer inaperçue ? Devait-elle s'exprimer à nouveau sur ces dessins sur lesquels elle n'avait pas pu trouver les mots pour décrire l'ensemble de ce qu'elle avait ressenti ? Faire comme si de rien n'était, parler du premier sujet venu, continuer à rester silencieuse, constater l'évidence en commentant son manque de conversation... Rien ne semblait convenir et tout pouvait faire l'affaire. Elle n'avait pas besoin de toujours dire quelque chose de pertinent, mais elle se sentait trop stupide dans n'importe lequel des scénarios qu'elle imaginait.

Au final, elle s'arrêta en tirant légèrement sur la manche de sa camarade pour lui signaler d'en faire de même, et fouilla dans son sac pour en ressortir un de ses casse-têtes de bois. Elle lui tendit et lui expliqua :

« C'est... c'est ce que je sais faire de mieux, résoudre des énigmes. »

C'était soudain et probablement assez déconcertant pour Mona, mais Una poursuivit :

« Je pensais à tes dessins. Quand tu dessines, ça peut être n'importe quoi.... Moi, il n'y a qu'une ou un certain nombre de solutions. Quand tu dessines, ça vient de toi, c'est pas grave que tu 'ne maîtrises pas tout', comme tu dis, parce que c'est pas important... Je ne sais pas comment dire. Tu comprends ? Il n'y a aucune personnalité dans un puzzle : si je le défais et que je le refais devant tes yeux, tu sauras rien de plus, juste que je connais la réponse. Tes dessins n'ont pas besoin de parler, ils montrent plein de réponses de questions qu'on se pose même pas. »

Plus elle parlait, plus elle avait le sentiment de s'embrouiller, c'était pourtant très clair dans sa tête au moment où elle avait pris la décision de se lancer dans cette explication. Elle baissa à nouveau les yeux, se rongea quelques ongles et balaya tout ce qu'elle venait de dire d'une simple phrase :

« Laisse tomber, je suis un peu folle des fois. »

Tu n'as pas tort...