[13 novembre 1943] Le coffre [PV August]

J’attends. Je ne fais que ça depuis des jours. Attendre pour. Voir si.

Le sol est froid – ou est-ce moi qui me sens mal ?
L’air est humide – ou est-ce moi qui sue d’angoisse ?

Accroupi, les articulations qui se cristallisent – je vais finir en statue de terre – les bras autour de mes jambes. Je pourrais m’assoir mais pas envie. S’assoir, c’est déjà se mettre au-dessus du monde. J’ai envie de m’y enfoncer. Ces heures sont trop longues.

…

Il n’y a plus de bruits.
Je n’entends que le bruit de mon cœur dans mon thorax. Résonne dans toutes mes veines.
Je tends l’oreille. Mes tympans se déchirent à cru.
Il n’y a plus de bruits.

Me lève. L’engourdissement partout sous ma peau.  Tiens le mur. Ou le mur me tient plutôt. Des pierres. Je serre. Les pierres sous mes ongles. Une petite douleur sous chaque ongle. Me réveille les doigts, la main, le bras.

Je marche vers le coffre. Enorme. De métal. Coffre sombre. Coffre plein.

Pose une main sur le dessus.

- August ?

Je pose mon oreille contre le métal. Froid. Silence.

Ma main glisse le long du socle. Trouve le mécanisme. Actionne. Le couvercle s’ouvre. Boite de Pandore. Ma nuque est raide. J’ai un peu peur de ce que je vais voir. Mais August…

- Oh putain.

BAM.

Reflexe. Mes deux mains sur le couvercle. Fermé. Mes mains l’ont refermé. J’ai les yeux pleins de peau et de poils et de peau qui bouge sous des os infernaux. J’ai les yeux pleins de loup, d’homme, d’homme en loup ou de loup en homme je ne sais pas. J’ai les yeux pleins de son regard.

Peux plus bouger. Tétanisé. Trop tôt. Merde. Je pensais que…

Les secondes, je les compte. Lourdes, faciles à compter. A égrainer. Une à une. Tombent.

Mes doigts s’accrochent. Re-glissent. Maintenant… Ça devrait aller ?

Je rouvre.

- Ça va ?

L’agonie touchait à sa fin.
La conscience revenait.
Le loup laissait place à l’homme, lui rendant corps et âme.

Le souffle court, étalé au fond de sa caisse, le jeune August ouvrit ses paupières, détaillant les murs autour de lui. Il ne s’était pas échappé. Tout allait bien. Aucune catastrophe cette nuit encore. Un soupir de soulagement lui échappa alors qu’il demeurait allongé au sol, aussi nu qu’un premier né. Se redressant légèrement pour s’asseoir, il finit par abandonner et se rallongea mollement. La douleur pulsait encore dans sa chair au rythme de son myocarde trop effréné. Il respirait longuement pour tenter de calmer cela et de reprendre convenablement ses esprits.

Le toit de sa prison se souleva alors timidement et un visage connu fit son apparition. Un sourire étira les lèvres du loup épuisé. Andrew était venu, comme promis. Mais dans quel état le voyait-il ? August, nu et étendu dans sa sueur au fond d’une malle infinie… Dans un élan de pudeur, ce dernier se redressa et ramena péniblement ses jambes contre son torse.

« Ca va oui… Merci d’être venu. »

Son sourire devint plus maladroit tandis qu’il observait son cadet, un peu gêné soudainement.

« Tu pourrais me passer des vêtements s’il te plait ? Il devrait y en avoir pas loin… »

L’espérait-il tout du moins. Car sortir nu ne serait pas agréable. Et d’autant moins que ses jambes encore sous le choc de la transformation risquaient de le lâcher… dans les bras du plus jeune.

L’aristocratie de la peur. Engourdissement de l’air. Mes flancs, corsetés de raideur. Mes bras ne bougent plus. Je ne bouge plus. Je suis hors de moi.

Les yeux happés.
Par August.
Sa nudité rude.

Loup il y a quelques instants. Humain entier à présent. C’est la première fois que je le vois nu.

Mes rétines ont du mal à comprendre. J’ai un kaléidoscope de formes dans les yeux.

Sa voix crève les formes.  

August, l’ami d’enfance, revient devant mes yeux.
August, voisin.
August, ami.
August, là sous le soleil.
August, là sous la pluie.
August, parfois, rit.
August, souvent.
August, sourit.

Je souris.

- Je t’en prie. J’étais inquiet.

J’apprécie l’humanité. Je n’aime pas les humains. J’aime peu. J’ai l’amour rare. Avare. Mon cœur est syncopé. Ses notes d’amour sont faibles sous le rythme effréné de mes fuites loin de l’humanité.

Je compte les personnes que j’aime sur les doigts d’une main unique.
Pas besoin de plus.
Ne pourrai supporter moins.
Ne pourrai supporter la perte.

Il demande des vêtements.

Je me retourne.

- Attends.

Mon regard en balai automatique.
Dans cette cave, la lumière est de terre.
Pas assez pâle.
Pas assez lumière.
L’apothicaire n’est pas clair.

Mes pieds se trainent. Savent qu’ils ne trouveront. J’ai les yeux encore pleins d’August. Les yeux pleins qui grandissent. Envahissent. Ma cage thoracique. Mon ventre. Mes jambes. J’ai la vision d’August qui me ralentit les gestes.

Pas de vêtement.
Pas le temps.
Il doit faire froid, là-dedans.
Il doit faire froid sous la sueur.
Dans les pierres.

Je lui tends une couverture.
Laine blanche et laine brune.
Matière de mouton doux.

Je lui tends la main sous la couverture.
La couverture glisse.
Ne me reste que ma main tendue.

- Viens. Vite. Tu dois avoir froid.

Je tire.

- J’ai eu peur pour toi.


Je ferme à moitié les paupières.
La peur ne peut pas s’échapper de mes paupières.

La douceur de la couverture arracha un frisson à la peau hérissée par le froid de l’ancien loup. L’air ambiant de la cave le gelait de toute part et sa vessie s’en trouvait d’autant plus stimulée. Oh qu’il avait besoin de s’enfuir aux toilettes ! Mais en grand garçon qu’il était, il se retenait et se contentait de bien serrer le tissu moelleux sur ses épaules, tirant vers son entrejambe pour cacher sa nudité et apaiser ses tremblements. Ses jambes vacillantes le soutenaient à peine lorsqu’il sortit enfin de sa prison magique.

« Merci Drew…encore une fois. »

Un léger sourire apparut sur ses lèvres virant vers le violet. A peine celui-ci se dessina-t-il que la masse humaine appelée August pencha dangereusement vers l’avant. Si dangereusement que son équilibre déjà précaire en vint à se rompre complètement. La tête la première, il filait sur le torse de son ami, écrasant son frontal contre sa cage thoracique en un bruit sourd. Les connexions de son cerveau au ralenti ne déclenchèrent aucun réflexe, si ce n’était un cri de surprise quelques longues secondes après la chute. Ses mains se décidèrent enfin, lâchant la couverture pour agripper la robe de l’étudiant sorcier.

Poids mort.
Morceau de viande refroidi.
Carcasse humaine accrochée sans retenue au plus jeune.

Sa jambe se décida à bouger pourtant. Son pied se cala entre les deux chaussures pour soutenir ses os et sa chair. Tous repères perdus. Toute notion dans l’espace disparue. Il pressa fort sur sa jambe et… BOOM.

Ou clac plutôt.
Clac le sommet du crâne contre la mâchoire.
Clac les dents inférieures contre les supérieurs.
Shmouf la langue entre les deux.

De qui ? Du loup ou de l’ami ? Peut-être les deux. En tout cas, le lycanthrope gémit de douleur. La langue écrasée entre ses molaires.

Ce réveil était le pire.
Un des pires.
Douloureux en tout cas. Et urgent.
Ses cuisses se resserrèrent et toujours agrippé à la robe sombre d’Andrew, il se mit à osciller d’un pied à l’autre. Il avait mal et une envie pressante. Ça le tiraillait de partout et il avait juste envie de couiner et de se rouler en boule.

Grand moment de virilité en somme. Surtout avec ce froid.

- He ?

August tombe.
Comme une feuille de pierre trop lourde pour sa branche. Une feuille isolée… Et…

La tête d’August contre le torse de Drew.
Une expiration forcée.
Une surprise arrachée.

- He ?

Oui il se répète…
Il faut dire que…

August a l’air mal.
Mal de transformation ?
Ou mal d’autre chose ?

Il tremble un peu.
Nu dans le froid.
Il s’accroche terriblement.
Pieds nus sur le bois pourri.
Les mains dans les habits de Drew.
Serrées.
A les déchirer.

Drew a un moment de blanc.
Un voile de confusion sur ses globes oculaires.
Que faire ?
De cet homme-là ?
De cet ami-là ?
De ce loup-garou-là plus homme que loup et plus ami que loup ?

Il lui tient les poignets.
Ne pas le laisser tomber.

Il s’enquiert de sa ‘forme’.
Ne pas le laisser sombrer.

- Je ne me souvenais pas que la transformation humaine était si douloureuse…

Murmure Drew.
Il s’enquiert sans vraiment s’enquérir.
Que peut-il y faire, de toute façon ?

Sans attendre de réponse…

- Il faut sortir de là…

Il ira chercher l’apothicaire pas très clair si vraiment…

Un bras autour du dos d’August. Le soutenir – ou le suspendre dans les airs, plutôt ?

- Passe ton bras au-dessus de ma nuque.

Histoire d’être soutenu et pas que suspendu.

Et une à une, il fait monter les marches à August. Si possible.
Une à une, craque.
Une à une, bancale.
Si, si, ça va aller.

Il assied August en haut des marches.

- Attends je vais chercher la couverture…

Et sans attendre, précipité, rué, cherche la chose chaude.
Lui tend.
Inquiet.
Suspicieux.

- Tiens. Ça va aller ? Tu veux que j’appelle l’apothicaire ?

Il s’assied près de lui.

- Tu as besoin de quelque chose ?

Un peu à côté de la plaque, Drew?
Un peu.