[Fin Octobre] Surprise, surprise.

L'air dans ses cheveux. Le cuir de ses gants sur son balai. Le vide sous ses pieds. Elle avait toujours su qu'elle volerait. Elle n'était pas devenue aviatrice. Elle était devenue sorcière. C'était une bonne alternative. Si on oubliait les discriminations toujours aussi présentes que dans le monde Moldus. Différentes mais toujours là. Ce n'est pas parce qu'on a des pouvoirs magiques que l'on est plus intelligent. Mais il fallait avouer une chose que les sorciers savaient bien faire : créer de fabuleux sports.

Le Quidditch en tête. Il n'était donc pas étonnant qu'elle, la première à courir, grimper, et bastonner dans son enfance ait accroché à ce divertissement. Elle aimait l'esprit d'équipe, mais aussi la rudesse de ce sport. On oubliait trop souvent sa violence. Pourtant, il suffisait d'être poursuivi une fois par un Cognard pour savoir ce que c'était que la violence pure et simple, sans conscience, juste brutale et incontrôlable. Heureusement que l'équipe avait de très bons batteurs, et qu'elle avait appris à leur faire confiance. Après, la peur ne l'a jamais rendu plus prudente, à peine un tremblement quand elle sentait qu'elle atteignait les limites du raisonnable, et les reproches d'un irlandais depuis peu quand elle posait le pied au sol.

Au début, cela l'avait surprise. Elle n'avait jamais eu que sa sœur et Nounoune pour se soucier d'elle. Mais jamais un homme n'avait prêté attention à ses frasques. Son grand-père était plutôt du genre à la punir un peu plus durement à chaque risque, renforçant ses envies d'interdit. Son père n'avait jamais été qu'un éternel absent, une image troublé et évanescente au nom flou. Si ça se trouvait ce n'était même pas son vrai nom. Bref. Ce regard attentif, cette voix forte à l'accent presque incompréhensible par moment, c'était extrêmement nouveau. Plaisant aussi. Même si elle n'en tenait presque jamais compte... Elle préférait avoir à avouer : « Tu m'avais prévenu » plutôt que  « je n'ai rien vécu ».

Elle restait en vol encore un peu. Faisant signe à l'équipe qu'elle comptait encore voler quelques minutes. Le temps qu'ils soient tous passés aux vestiaires en fait. Le temps pour préserver son intimité. Ses affaires étaient dans le vestiaire des garçons, comme d'habitude. Mais elle ne s'y changeait pas en début d'entraînement, et ne passait jamais beaucoup de temps après. Juste une douche. Elle s'épargnait la vue des corps masculins. Non pas qu'elle en ait peur ou qu'ils lui fassent envie charnellement parlant. C'était plutôt qu'ils lui rappelaient qu'elle n'était pas comme eux malgré tout ce qu'elle laissait paraître, et cela lui faisait de plus en plus mal. Elle préférait naviguer dans les hauteurs du terrain, révisant loopings, piquets et autre chandelles. Elle savait grossièrement le temps qui leur fallait. Les garçons étaient globalement assez rapides. L'attente n'était donc pas si pénible.

Chéri croisa ses coéquipiers dans le couloir, tapa dans des mains, rigola à leurs blagues sur son perfectionnisme. S'ils savaient. Et sans doute qu'ils le savaient. Certains avaient mis plus de temps à le comprendre, mais au fond, ils devaient tous se douter que quelque chose ne tournait pas rond chez elle. Mais ils ne disaient rien. En cela, elle leur en serait toujours reconnaissante.

Rapidement, elle se doucha. Elle ne restait jamais longtemps sous l'eau. Sans doute par peur d'être surprise. Par réflexe de survie. Elle attrapa sa serviette et se sécha rapidement, mais une vive douleur lorsqu'elle passa la serviette sur son torse la stoppa dans ses gestes rapides. Elle posa sa serviette pour observer un peu mieux ce qui lui causait ce mal. C'était en dessus de sa poitrine, un hématome assez important. Ugh. Elle avait dû se faire ça au début de l'entraînement, sans doute le coup d'épaule d'un coéquipier alors qu'elle essayait d'attraper le Souaffle. Elle n'aurait jamais cru avoir une si belle marque. Son doigt appuyait dessus jusqu'à la faire grimacer. Elle resta immobile à regarder son corps. D'autres bleus parsemaient son corps, des cicatrices aussi. Les garçons aussi marquaient si facilement ? Ou alors c'était une preuve de sa féminité ? Elle se posait toutes ses questions quand la porte s'ouvrit. Elle lui faisait face. Elle n'eut pas le temps d'attraper sa serviette. Elle n'eut pas le temps de réaliser ce qui arrivait. Elle eut juste le temps de voir qui venait d'entrer.

Pas lui. Tout le monde, mais pas lui. Elle ne voulait pas qu'il sache surtout pas lui. Ses yeux restèrent figés sur lui. Apeurés. Effrayés. Terrorisés. Elle finit par attraper précipitamment sa serviette, cachant sa nudité.

Marius perçut un hululement fatigué à ses oreilles. Tournant la tête, il accueillit la chouette en lui tendant son bras ganté comme appui. Ses griffes bien enfoncées dans le cuir, Marius s’occupa de défaire le nœud qui tenait attaché la lettre à sa patte. Il jeta un regard à l’oiseau fatigué. Imprudente ! Traverser le terrain de Quidditch ainsi ! Qui sait si un cognard ne l’aurait pas prit en chasse et assommée ! Il reconnu alors l’écriture sur l’enveloppe. A Marius. Il leva les yeux vers le ciel : l’équipe de Gryffondor voletait joyeusement dans les airs, cramponnés à leur ballais. La batte de Lian fendit l’air et envoya un cognard loin derrière lui : un joli coup que Marius salua d’un pouce en haut à l’intéressé. Ses yeux se reposèrent à nouveau sur la lettre : c’était sa sœur qui lui écrivait.

Il s’approcha des gradins et incita la chouette à aller s’y poser en agitant un peu le bras. Il jeta à nouveau un regard aux joueurs par prudence, et voyant que l’entraînement n’avait pas dégénéré du tout au tout, Marius fut rassuré. Il ouvrit la lettre et commença distraitement sa lecture. Elle lui donnait quelques nouvelles, en demandait, lui expliquait qu’elle et son ami (un sorcier irlandais, comme eux) songeait doucement mais très raisonnablement à se marier. Marius se sentit d’abord plutôt content de cette nouvelle, puis il se rappela que lui-même était seul. Il était entouré de différents amis, et surtout de ces collègues et de ses élèves (Dieu seul savait combien il les chérissait), s’autorisant quelques vacances en Irlande l’été, puis revenait dans sa petite maisonnette de Loutry Ste Chaspoule… Mais Marius commençait à se demander s’il ne devrait pas commencer à envisager un avenir comme tous ceux de son âge y songeaient.

Rappelé à la réalité par les cris impressionnés des Gryffondor, Marius comprit qu’il avait raté un joli but marqué par Chéri. Ah, Chéri ! Un bon garçon, et un bel espoir dans le Quidditch, aussi. Il regarda précipitamment sa montre : ils avaient dépassé la durée convenue de l’entraînement de vingt minutes au moins. Marius plia soigneusement sa lettre, la glissa dans sa poche et siffla à pleins poumons dans son sifflet pour marquer la fin de l’entraînement. Ils se réunirent rapidement en bas, et Marius passa devant tous pour aller ouvrir les vestiaires. On réunit les différentes balles qui furent soigneusement enfoncées dans la malle de Quidditch. Marius l’emporta avec lui en accompagnant l’équipe dans les vestiaires. Il partit s’isoler néanmoins s’isoler à la sortie du stade pour relire sa lettre avec une certaine fébrilité : certes, il savait déjà ce qu’elle racontait, mais Marius se sentait la nécessité de se rassurer un peu. Personne ne remettait en cause sa façon de vivre, n’est-ce-pas ? Il s’agissait simplement de bonnes nouvelles. Leur petit frère allait bien. Le plus grand aussi. Oui, tout était pour le mieux. Des voix résonnèrent dans le couloir et à nouveau Marius rangea sa lettre.

« Hé, bien joué Orween ! Très concentré j’ai vu, et c’est pas une mince affaire. J’te félicite. Ils ont des poursuiveurs costauds dans les autres équipes aussi, faut faire bien attention ! »

Il le gratifia d’un sourire et lui donna une tape dans le dos, comme à son habitude. Le garçon sourit et alla rejoindre les autres qui l’attendaient. Marius retomba dans ses pensées en se dirigeant vers les vestiaires. Après tout, un mariage, ce n’était pas une si grosse affaire. Enfin si, en fait. Cela changerait tout et donnerait lieu à de très longues célébrations, c’était clair et net. Et puis c’était sa petite sœur, pas n’importe qui. Seulement, Marius avait besoin de se rassurer. Drôle de sentiment d’insécurité ! Il se sentit mieux en se rappelant qu’il s’agissait seulement de projets. Sa petite sœur… Ce n’était pas facile de se mettre dans la tête que celle qu’il avait eu à ses côtés si longtemps dans sa vie, la jolie jeune fille dont les robes se gonflaient de vent lorsqu’ils se promenaient ensemble dans les landes. La même, aussi, à qui il nouait les nattes le soir avant qu’elle n’aille dormir. Le regard dans le lointain, Marius ouvrit sans grande conviction la porte du vestiaire des garçons. C’était une habitude qu’il avait prit : ce serait bête d’enfermer un élève. Il tourna la tête vers le fond de la salle, se pencha pour regarder, puis constatant qu’il n’y avait personne, il commença à chercher la bonne clef dans son trousseau.

Mais ses yeux furent soudainement happés par quelque chose qu’il n’avait pas remarqué. Là, juste devant lui. Stupeur. Un petit corps dénué tremblait sous yeux. Tout lui vint dans le désordre : la taille creusée, les épaules rondes, cette peau lisse, ces cuisses, ce… torse ? Marius comprit d’un coup et il sentit son visage prendre une teinte rouge vive. Terriblement confus de constater où avait pu se poser son regard pendant déjà quelques secondes, Marius fixa alors le visage de la jeune fille. Il cligna plusieurs fois des yeux : le trahissaient-ils ? Non. C’était bien Chéri qui se tenait là, cramponnée à sa serviette, pâle et recroquevillée. La peur avait ouvert grand ses yeux, elle tremblait. Marius ouvrit alors la bouche. Il essaya de dire quelque chose, tendit une main devant lui à la fois pour signaler qu’il allait parler et pour montrer son innocence. Ses lèvres se refermèrent sans que rien ne lui soit venu. Son regard se dirigea alors directement vers le sol, plus loin vers la droite. Il était brûlant. Finalement sa voix toute enrouée laissa échapper quelques mots confus :

« D-d-désolé mon gars ! Je repasserai ! »

Il referma rapidement la porte, une fois retourné dans le couloir. Sa voix avait sonné à ses oreilles comme un croassement rauque et étrange. Il pressa sa main contre son visage en feu ; l’autre se cramponna à la lettre dans sa poche en la froissant. Ce n’était pas possible, il ne pouvait pas croire ce qu’il venait de voir. Pourtant, c’était bien le visage de Chéri, et c’était bien un corps de jeune fille qu’il avait vus. Une cigarette. Et vite.

La situation lui semblait improbable. Elle avait pourtant toujours fait attention. Elle n'avait pas mis plus de temps... Peut-être une minute. Une minute qui changeait complètement la donne, qui chamboulait toutes les cartes et lui faisait perdre presque automatiquement la partie. Elle n'avait pas de joker. A part faire tapis, elle n'avait pas beaucoup de solutions. Elle resta silencieuse. Interdite. Les secondes semblaient plus longues que les heures. Ses mains se crispaient sur le coton humide de sa serviette épaisse. Pourquoi ne disait-il rien ? Pourquoi restait-il comme cela ? Pourquoi ne réagissait-il pas ? Elle aurait préféré qu'il hurle. Elle aurait préféré une gifle. Quelque chose, enfin ! Mais pas ce silence tellement anxiogène. Elle même n'arrivait pas à briser la chape de plomb. Ce silence lui semblait tellement bruyant de reproches.

Les mots furent une véritable libération. Sa sortie une seconde. Elle se laissa tomber sur le banc. Ses mains tremblaient fortement. Les larmes roulèrent sur ses joues. Elle les effaça rageusement. Les garçons ne pleurent pas. Elle ne devait pas pleurer. Elle ne pouvait pas se permettre cette faiblesse. Il fallait qu'elle réagisse, qu'elle fasse quelque chose. Qu'elle le rattrape. Qu'elle réussisse à le convaincre de ne rien dire. Qu'il croie encore qu'elle pouvait être un vrai garçon. Elle était un vrai garçon. Elle avait réussi à grimper deux branches de plus, elle était un vrai garçon. Elle le serait toujours.

Précipitation. Elle se releva. Elle enfila son pantalon, son gilet de peau, boutonna maladroitement sa chemise. Elle se fichait d'avoir une allure négligé. Elle s'en fichait à présent. Ce n'était pas important. Seul Marius en avait en cet instant. Elle se fichait que ses cheveux mouillent sa chemise et la fasse frissonner. Elle se fichait du froid sous ses pieds nus. Elle ouvrit la porte brusquement, gérant mal son empressement, son anxiété. Marius était toujours là. Une cigarette à la main. Au moins, elle n'aurait pas à courir pieds nus dehors. C'était un point positif... Parmi tant de négatifs.

Elle aurait voulu trouver les bons mots, la bonne phrase. Le convaincre instantanément du bien fondé de sa mascarade. Mais elle ne réussit qu'à murmurer :

« Je peux te prendre une cigarette avant qu'on parle de ce que tu viens de voir ? »

Sa voix était restée un peu bloquée dans sa gorge, plus grave que d'habitude, sans doute se forçait-elle à paraître un peu plus masculine.

« Désolé. »ajouta-t-elle en baissant la tête, observant ses pieds un peu trop petit pour être ceux d'un garçon.