[12 mars 44] Another wolf in Wolfe's den (Ysen')

Le lendemain, 18h

Wolfe avait été bien occupé toute la journée. La perspective d'avoir un nouvel employé ne le soulageait pas encore totalement et il avait fallu s'assurer que la chambre de celui-ci ne manquait de rien. La personnaliser reviendrait à Mr Rhys, mais le tenancier doutait qu'il amenât avec lui suffisamment d'affaires pour avoir ne serait-ce que des draps. Il allait aussi falloir le présenter à Niall et discuter avec le loup-garou s'avérait toujours un peu compliqué, mais il l'avait au moins informé d'un autre "loup" qu'il pourrait rencontrer plus tard. Finalement, entre ça et ses tâches habituelles, la journée s'était écoulée sans qu'il la vît passer.

"Ah, Mr Rhys !" s'exclama-t-il en le voyant passer la porte, lui-même derrière la réception où il faisait le compte des réservations à son arrivée. "Comment allez-vous ?"

En un craquement retentissant, Ysengrim se matérialisa sur une petite colline qui surplombait Godric's Hollow, de laquelle il pouvait jouir d'une vue dégagé sur la vallée en contrebas, le village et les bois qui l'entouraient. Le paysage était riant, charmant, même, en ce printemps qui débutait tout juste, encore en lutte avec quelques frimas d'hiver qui se faisaient prier pour céder le terrain. Le loup-garou déposa au sol le sac en toile de jute qu'il portait à l'épaule, tira de sa poche et alluma une cigarette, puis s'assit dans l'herbe fraîche le temps de la fumer, savourant ce rare moment de totale sérénité, loin des hommes autant que de la prochaine pleine-lune, pas tant, d'ailleurs, parce qu'il en éprouvait un besoin réel que sous l'impulsion d'une forme d’opportunisme : les occasions durant lesquelles Ysengrim se sentait parfaitement apaisé étaient suffisamment rares pour qu'il sache les reconnaître quand elles se pointaient et qu'il choisisse d'en profiter tant qu'elles duraient.

L'instant, précisément, comme tous les instants depuis que le monde est monde, finit par passer, sans qu'il fût en mesure de dire s'il avait été trop court, ou s'il avait juste duré le temps qu'il fallait. Quoiqu'il en fût, le mercenaire sut que l'heure était venue pour lui d'entrer dans ses nouvelles fonctions. Il écrasa sa cigarette au sol, ramassa son paletot et se mit en marche vers le village, en bas de la colline.

Il passa avec indifférence entre les pourtant ravissantes maisons à pan de bois qui bordaient la grand-rue de Godric's Hollow et, tournant dans une venelle attenante, finit par arriver devant la pension de Ziegler, une espèce de gros cottage ou de petit manoir, à la préférence du spectateur, dont il devina à certains effluves de magie qu'il devait paraître sous la forme de ruine délabrée à tout passant incapable de percevoir la magie. Sans plus barguigner Ysengrim passa la porte d'entrée. Son nouveau patron - il réalisa ce qu'il y avait d'incongru à appeler "patron" un type qui devait faire quinze ou vingt ans de moins que lui - était là, derrière le comptoir, le nez dans un gros bouquin à l'aspect rébarbatatif.

- Ah, Mr. Rhys - la satisfaction de le voir ne semblait pas feinte. Comment allez-vous ?

- Pas mal, par la lune, pas mal, et vous ? répondit le loup-garou d'un ton qu'il se força à rendre aimable. Alors, par où commence-t-on ?

"Très bien, merci."

Les yeux de Wolfe glissèrent sur le Terre-neuve qui collait aux basques de son maître, un beau chien somme toute, moins maigre qu'il ne l'avait craint. Wolfe referma le livre et le glissa sous la partie du comptoir que les visiteurs ne pouvaient voir et quitta le renfort qu'il créait pour indiquer plutôt les marches derrière lui.

"Je vous emmène d'abord à votre chambre. Vous pourrez poser vos affaires et ce sera l'occasion de faire un tour des lieux en redescendant."

Sans vraiment l'attendre, Wolfe s'engagea dans l'escalier.

Bien qu'il lui eût demandé la veille si la présence d'un chien ne le dérangeait pas, Ysengrim se serait tout de même attendu à ce que Ziegler fasse une réflexion à propos de Nuit Noire, ne fût-ce que pour s'extasier sur son air de gros nounours, comme le faisaient la plupart des gens qui le voyaient, mais le regard du tenancier se contenta de glisser avec neutralité sur la bestiole pour se diriger vers les escaliers. Il lui proposa de lui montrer sa chambre et de lui faire visiter les lieux.

Le mercenaire lui emboîta le pas et, tandis qu'ils cheminaient, scruta avec attention la configuration de ce qui allait devenir son principal lieu de vie dans les prochains mois. C'était une petite pension proprette, bien tenue, pas spécialement remarquable, mais probablement tout à fait acceptable pour qui était moins habitué que lui à vivre à la dure. Pour sa part, il la considérait comme franchement luxueuse.

- Jolie installation que vous avez là, M. Ziegler. Ca fait longtemps, que vous êtes à Godric's Hollow ?

"Deux ans environ, mais la pension n'a ouverte qu'il y a un an."

Et battait son plein régulièrement, sans doute aidée par tous les changements qui agitaient le pays. Wolfe n'allait pas se plaindre néanmoins, son affaire avait vite décollé et il rentrait dans ses frais. Des détails qu'il gardait pour lui alors qu'il embrayait dans un deuxième escalier légèrement à l'écart et plus petit.

"Pour votre chien, il faudra que nous discutions de l'organisation. J'imagine que vous ne le garderez pas dans la chambre et ça ne me dérange pas qu'il sorte, du moment qu'il ne creuse pas dans le jardin. Il est sociable ? Avec les humains comme les animaux ?"

Ysengrim poussa un grognement amusé en entendant Ziegler se soucier de Nuit Noire.

- Dans ma chambre ? aboya-t-il. Seulement si vous voulez qu'il finisse par mordre tous vos clients... Non, il dormira hors de la pension, là où ça lui chante. Godric's Hollow ne doit pas manquer de cabots pour lui tenir compagnie, et puis les réverbères m'ont l'air très bien.

Il regarda autour de lui. Ils étaient arrivés dans ses nouveaux "quartiers". Sobres, propres, confortables... Le luxe. Le grognement amusé se doubla d'un grognement satisfait.

- La chambre aussi, au demeurant, ajouta-t-il sans se soucier du caractère douteux de la comparaison. Du coup... qu'est-ce que vous attendez de moi, maintenant que je suis là ?

Il continuait à avoir des doutes quant à la véritable raison de sa présence ici, mais il doutait que Ziegler fût plus disposé qu'avant à lui en dire davantage. Il finirait bien par le découvrir tout seul, de toute façon.

"Comment ça, ce que j'attends de vous ?" Wolfe haussa les sourcils, puis les épaules. "Je vous fais faire le tour, vous me direz si vous êtes toujours intéressé une fois que je vous ai expliqué comment ça marche, et si c'est le cas, vous signez le contrat. Rien de plus."

L'entente devait sembler plus qu'idéale aux yeux du loup-garou s'il doutait à ce point de la véracité de son offre, mais il aurait tout le temps du monde pour s'habituer à l'idée que non, Wolfe ne cherchait pas à détourner son attention ou l'acheter. Peut-être que rencontrer Niall aiderait, somme toute, et sur cette pensée, Wolfe sortit de la pièce.

"Vous pouvez laisser vos affaires ici si vous voulez."

Ysengrim s'exécuta et, dans un discret grincement, déposa son sac sur le parquet de la chambre. Il jeta un nouveau coup d'oeil alentours, encore surpris de cette aubaine qui semblait lui tomber dessus.

- Et bien faites-moi faire le tour et signons,  ainsi. J'ai un jour travaillé pour un briseur de sorts Boer qui affirmait qu'en affaires, la première vertu était la circonspection, mais il passait tellement de temps sur sa véranda à regarder le soleil cuire le Veld qu'il a fini par mourir de soif - ou d'ennui, si vous voulez mon avis. Morale de l'histoire : autant ne pas perdre de temps. C'est par où ?

"Suivez-moi."

Le tour ne leur prit pas tant de temps, au final. Wolfe lui fit découvrir les couloirs de chaque étage, indiquant les chambres prises, les lieux communs, les lieux encore en travaux et interdits d'accèspour finir par faire un détour à l'extérieur et indiquer les modalités du jardin.

"Vous pourrez avoir une parcelle, si ça vous intéresse."