[3 mars 1944] I wanna runaway

Encore aujourd'hui, Whitmore m'avait demandé de retourner à la pension. Une fois, c'était déjà trop. Je voyais bien la déception dans son regard. À sa place, je serais aussi déçu. L'homme tentait, par tous les moyens, de m'aider dans mon boulot, sans pour autant que je réussisse à me sortir de le tas de bouse dans lequel je nageais depuis un temps. Depuis ma dernière et ultime rencontre avec Arthur. Mon supérieur n'avait pas eu le choix.

« Retourne chez toi et trouve un moyen pour te remettre sur la trac. Je ne peux rien faire pour toi si tu n'y mets pas l'effort. »

Ce à quoi je n'avais pas contesté. Sans rien dire, j'avais récupéré ma cape pour partir.

Me remettre sur la trac. Trouver un moyen... Une me trottait dans la tête, une que je ne pouvais faire seul. Ce qui expliquait ma présence devant la porte des appartements de Wolfe.

Toc, toc.

« Wolfe... j'dois te parler. »

Toc, toc.

Wolfe abandonna son livre, sourcils froncés, et se releva du canapé. Qui pouvait bien venir le voir directement chez lui ? Il traversa l'appartement et vint ouvrir pour se trouver nez à nez avec son cousin. Le tenancier n'hésita pas un instant. Il se positionna sur le côté, main sur la poignée, et lui fit signe d'entrer de l'autre. La porte refermée en douceur derrière lui, il suivit Zach jusqu'au salon tout en l'interrogeant.

"Qu'est-ce qui t'amène chez moi ?"

Je croyais que tu cherchais à éviter d'être proche de Niall ?

Je n'eus pas attendre bien longtemps avant que la porte ne s'ouvre sur un cousin surpris. Ni lui ni moi n'hésita, je me glissai dans son appartement pour aller m'asseoir sur l'un des fauteuils du salon.

« J'voudrais te parler... seul à seul. »

L'autre traînait toujours dans les parages et je ne voulais pas être dérangé par un de ses grognements désapprobateurs. Merder une nouvelle fois avec le loup-garou s'avérait une mauvaise idée vu ce que je m'apprêtais à demander.

« On m'a demandé de rentrée par deux fois cette semaine. Manque de concentration. C'est toute cette histoire... avec Arthur... j'aurais jamais dû le revoir.»

Je soupirai.

« Bref, t'avais raison. »

Bref, t'avais raison. Trois mots qu'il ne s'attendait vraiment pas à entendre de la part de Zach considérant le sujet abordé. Oui, il avait eu raison. Wolfe ne se sentit pas particulièrement dans le besoin de le souligner. L'aveu de son cousin se suffisait à lui-même, mais le tenancier fronça bien un peu les sourcils en finissant de s'installer dans le canapé. Où voulait-il en venir ?

"Qu'est-ce que t'attends de moi ? Je suppose que t'es pas venu me voir ici juste pour ça."

« Non. Évidemment. »

Avouer mon erreur n'était pas dans mes habitudes, même lorsque je sais avoir tort. Je fus reconnaissant à Wolfe de ne pas le soulever une deuxième fois. Au contraire, il alla droit au but de ma présence dans son appartement.
Je me penchai vers l'avant jusqu'à ce que mes avants-bras s'appuient sur mes genoux, puis je le fixai.

« J'veux oublier Arthur. »

Haussements de sourcils dubitatif et silence lourd dans l'attente d'un complément qui ne vint pas. Oublier Arthur, hein ? Wolfe garda sa pensée pour lui, mais Zach lui faisait penser à Hazel après une innombrable rupture, le cœur brisé et la certitude qu'elle ne s'en remettrait jamais. Certes, le cas de son cousin différait un peu : il avait envoyé ledit Arthur à Azkaban après tout. N'en restait pas moins que le parallèle ne le quittait plus vraiment.

"Y a pas de recette magique pour ça," commença-t-il avant de soupirer. Parallèle avec sa petite sœur mis à part, Wolfe compatissait. Il connaissait le sentiment, bien qu'il ne le vocalisait jamais, et sa propre visite à Sam lui revenait à l'esprit chaque fois qu'il croisait Zach. La certitude de faire son devoir ne changeait pas tant de choses à la culpabilité, mais formait une ancre solide à laquelle s'attacher. "Serre les dents et répète-toi que tu as fait ce qu'il fallait jusqu'à ce que le temps fasse son oeuvre."

« Non Wolfe, c'est pas suffisant. Qu'j'ai fait ou non ce qu'il fallait faire change rien. Tout me ramène à lui et j'en peux plus. Le département a accepté suffisamment longtemps mon écart de conduite, ça durera pas plus longtemps. Whitmore peut pas me protéger éternellement. J'arrive au bout d'sa patience. »

Durant un instant, je me massai le cou. Je n'avais pas de temps devant moi. Je devais réussir à rattraper la situation le plus rapidement possible. Surtout si je voulais pas perdre mon boulot.

« Il faut que je l'oublie. J'vais devenir fou. J'supporte plus c't'idée qu'il va y mourir par ma faute. »

"Et tu veux faire quoi ? Y a pas de potion pour ça, Zach. Pas de remède miracle. Tu vas devoir apprendre à vivre avec. Prends des vacances, fais un break. Trouve-toi une occupation. Je vois pas ce que je peux faire pour toi."

Mais sa conversation avec Sam lui revint en mémoire, encore une fois. Peut-être que la présence de Zach renforçait sa présence dans les pensées de Wolfe. Ce fut pourtant la partie concernant les gamins à Poudlard qui dessinèrent dans l'esprit du gérant de pension une image tenace, inquiétante, qui lui fit scruter l'Auror. Sam, comme Zach, pouvait avoir des idées sacrément à la con. L'idée qu'ils se rejoignent sur celle-ci déplaisait fortement à Wolfe.

"Et je vais certainement pas te jeter un Oubliette, ni te laisser le faire. Ou qui que ce soit d'autre."

Un rire - tout à fait inapproprié dans les circonstances - me secoua.

« Si c'est pas toi, j'me trouve quelqu'un d'autre. »

À cette phrase, je m'étais redressé sur mon siège. Car oui, j'étais là devant lui, avec me maigre espoir qu'il accepte. Toutefois Wolfe, ô Wolfe, si droit et si fier, me demandait de trouver une occupation pour me changer les idées. Comme s'il s'agissait d'une affaire des plus banales.

« C'est près de cinq ans de ma vie, Wolfe. Cinq ans durant lesquelles j'ai menti à tout le monde. Au final, tout ce que j'ai réussi, c'est foutre mon meilleur ami à Azkaban. Lui éviter ce putain de sort était devenu une obsession et maintenant, j'ai plus rien. Sauf notre dernière conversation où j'ai réalisé avoir détruit un homme bien. Ouais, il a fait des mauvais choix, à de nombreuses reprises, mais j'ai ma part de responsabilité. C'est pas en jouant aux échecs que ça va disparaître de ma tête. Alors permets moi d'oublier. Je le demande à toi, parce que j'ai confiance. »

Wolfe soupira et cette fois, il s'y vida les poumons. Malheureusement, ni l'exaspération, ni l'inquiétude ne le quittèrent en même temps que son souffle. L'Anglais laissa donc filer un long silence étouffant qu'il ne brisa que pour éviter à Zach de claquer la porte sans plus de cérémonie. Merlin lui vienne en aide, son cousin aurait sa peau !

"Même pour Edith j'irais pas si loin, et pourtant je l'aime, crois-moi. T'es sûr que c'est juste ton meilleur ami ?"

" Quoi ? "

Cette fois, Wolfe m'avait pris de court. Je le regardai, ébahi, par sa question sans savoir s'il blaguait ou non. Trop de sous entendu dans un simple mot. Ma main retomba sur ma jambe alors que je me réinstallais sur mon fauteuil.

" Ouais, c'est juste mon meilleur ami. On a jamais développé ce genre de relation. Vous avez quoi à tous penser que c'était mon petit copain ? Lovegood, maintenant toi. Et que ce soit le cas ou non, j'veux juste l'oublier. "

"Tu sais qu'il y a pas besoin de développer quoi que ce soit pour..." Mais il s'arrêta là et haussa plutôt les épaules. "Le seul moyen sûr d'oublier tout ça, c'est d'oublier les cinq années entières. Tu sais comment marche le sortilège d'oubliette. On change pas une période aussi longue sans faire plus de dégâts que de bienfaits. Et tu vas faire quoi avec cinq ans de souvenirs en moins ? Être plus heureux ? Mais rappelle-toi comment tu étais à l'époque ! T'es pas devenu Auror parce que t'étais heureux, Zach, tu l'es devenu parce que tu supportais pas ta vie."

Il laissa le silence donner plus de poids à ses mots.

"Fuir a jamais été la solution. Et même si ! Depuis le début, tu passes ton temps à me dire et me répéter qu'Arthur est un mec bien. Que toi, tu le sais. Que toi, tu t'en souviens. Il croule pas sous le poids des amis. Si t'es plus là pour t'en rappeler, qui le fera ? Hm ? Tu tiens tellement à ce que les seuls à pouvoir encore parler de lui soient ceux avec lesquels il s'est comporté en connard fini ?"

" Putain Wolfe, tu me fais chier avec ta bonne conscience ! "

Je détestais qu'il ait raison. Qu'il trouve toujours les bons arguments pour me mettre le doute. Mon cousin avait cette maudite faculté de mettre le doigt exactement où ça dérange. Pire, je détestais ne pas savoir quoi lui répondre.

" J'supporte plus la situation. Okay ? Tu vas me dire que ça pourrait être pire, c'est ça ?"

"Non. C'est pas ce que j'allais dire."

Il fouille une poche, puis une deuxième avant d'extirper une cigarette du paquet retrouvé. Paquet qu'il envoie entre les mains de son cousin avant d'allumer sa clope.

"C'est pas simple de faire ton devoir quand tout ce que tu veux vraiment, c'est que la personne soit en sécurité. C'est pas simple de savoir que tu as déçu et brisé la confiance de l'autre sans moyen de revenir en arrière. C'est pas simple de faire sa paix avec ça. Ça prend du temps. C'est douloureux. Malheureusement, parfois, l'intégrité passe par-là." Souffle et nuage de fumée. "Tout ce qui reste, c'est assumer avec dignité. Pour toi, oui, pour ta conscience, mais aussi pour la personne que tu blesses. Fais-lui honneur et vis avec parce qu'il n'y a rien de plus insultant que se laisser berner par plus faible que soi."

D'une main habile, j'attrapai le paquet, puis j'imitai mon cousin. Je laissai la fumée se propager dans mes poumons avant de la souffler doucement. Merde que ça faisait du bien.

« J'en ai plus de dignité. Elle a disparue en même temps que la purge. Et s'il m'en restait un peu, elle s'est évaporée ces derniers mois. Puis, que j'l'oublie, ça changera rien, j'suis pas mieux que mort à ses yeux. Il a renié les cinq années... j'pourrais faire pareil, non ? »

Après un moment à faire tourner le carton de cigarettes, je le relançai à mon aîné.

« Tu crois que ce que j'ai vécu avec Arthur, c'est qu'un énorme mensonge ? Que j'me berne en croyant qu'il y avait un peu de vrai dans notre relation ? Parce que si c'est le cas,... je sais pas. En y réfléchissant, c'est le seul mec en dehors de toi qu'j'aurais confié ma vie. J'peux pas autant me leurrer. »